MACHETES

Para que las generaciones futuras no tengan que pasarse horas interrogando un texto, y así sean más estúpidas (o tengan más tiempo para dormir)

2/6/22

El Descamisado. Journalisme à bout de souffle


GRASSI Ricardo, Journalisme à bout de souffle. El descamisado, Paris, L'Harmattan, 2022. Traduction par: Odile Begué Girondo.

Descamisados. Journalisme à bout de souffle s’ouvre sur la scène d’une rencontre à Kaboul, en 2010, entre un ancien anthropologue devenu agent de la CIA et Ricardo Grassi, auteur du livre qui nous réunit et ancien rédacteur en chef de la revue El Descamisado, qui a brièvement survécu à sa fermeture grâce aux publications qui lui ont succédé, El peronista et La Causa peronista. La scène et les identifications vis-à-vis de l’autre évoquent la mémoire de l’hebdomadaire et de son époque et le situent, à partir de la compréhension actuelle de ce moment historique, dans le contexte global de la guerre froide où les journalistes qui l’ont réalisé ont participé, depuis le journalisme, au combat qui opposait la perpétuation du système capitaliste, d’une part, et la révolution socialiste, d’autre part. Avant d’entrer dans le récit de la mémoire, la scène nous présente donc le regard de l’autre, le spécialiste américain du contre-terrorisme, dans un lieu autre, l’Afghanistan, et franchit la différence en établissant un parallèle possible entre l’ennemi de l’époque, la menace communiste contre laquelle une « première guerre contre le terrorisme » (selon la caractérisation de l’époque par John Dinges, cité par Ricardo Grassi) a été menée à travers la sale guerre, et l’ennemi actuel, vaguement appelé « terrorisme musulman ».

La dernière scène d’écriture du livre, qui raconte sa propre genèse, se clôt également en Afghanistan, et explore précisément les confluences, les parallèles et les divergences entre les politiques gouvernementales post-dictatoriales en Argentine et le « point final » afghan dicté par la politique américaine, entre la douleur des proches des détenus et des disparus dans le Cône Sud et celle des proches dans ce pays montagneux d’Asie, entre la pratique journalistique de l’auteur et de ses collègues entre 1973 et 1974, et la première agence de presse indépendante d’Afghanistan, Pajhwok Afghan News, dont Ricardo Grassi a supervisé le développement.

Entre ces deux moments de référence à un passé plus proche se déploie l’acte de mémoire, mais aussi de relecture et de création, qui sert de contrepoint à la pratique et à la réflexion sur et dans le présent. Dans ce sens, Descamisados. Journalisme à bout de souffle présente, d’une part, la reconstruction de l’histoire et des choix journalistiques, esthétiques et politiques de El descamisado et des magazines qui lui ont succédé, qui ont développé un journalisme militant depuis l’arrivée de Cámpora au pouvoir jusqu’à la publication de l’interview de Montoneros évoquant la mort d’Aramburu et le passage à la clandestinité de l’organisation politique et armée dont ils ont été l’organe de presse officieux. Plus généralement, dans la mesure où, pour rendre intelligible cette reconstruction, il aborde la relation tendue entre la Jeunesse péroniste et les Montoneros, d’une part, et le troisième gouvernement de Juan Domingo Perón, d’autre part, et cherche à restituer le sens, les aspirations et les contradictions de la jeunesse péroniste qui a poursuivi la construction d’un socialisme national, le livre se présente, selon les termes de l’auteur, comme « la peinture de la vitalité d’une époque et de ma génération ». Ce double travail de témoignage, réalisé quarante ans après les événements auxquels il se réfère (rappelons que la première édition du livre en espagnol date de 2015), permet à Ricardo Grassi de se positionner par rapport à certains des livres parus sur le sujet et de corriger certaines interprétations (comme dans le cas de Perón o Muerte. Los fundamentos discursivos del fenómeno peronista par Silvia Sigal et Eliseo Verón).

Mais aussi, dans la mesure où l’acte de mémoire s’effectue à partir d’un présent d’activisme et d’action politico-journalistique, et dans la mesure où Descamisados. Journalisme à bout de souffle n’est pas seulement un acte de mémoire, mais aussi le produit d’un travail de relecture, de critique et d’une activité d’écriture méditée qui recourt à des stratégies littéraires pour introduire la mémoire, les « personnages » du souvenir et leur importance, Ricardo Grassi, loin de produire uniquement un livre sur le passé — aussi présent que soit ce passé — propose les « confluences, parallélismes et divergences » susmentionnés pour promouvoir une considération différente du présent.

En ce sens, il me semble pertinent d’évoquer une lecture de Beatriz Sarlo dans Tiempo pasado. Cultura de la memoria y giro subjetivo. Dans ce livre de 2005, conçu en réponse à l’augmentation bibliographique des écrits à la première personne sur les années 1960 et 1970 en Argentine, l’auteure propose une discussion de ce qu’elle appelle le « tournant subjectif » et définit comme « la tendance actuelle du marché des biens académiques et symboliques qui vise à reconstruire la texture de la vie et la vérité logée dans le souvenir de l’expérience », la revalorisation de la première personne comme point de vue, la revendication d’une dimension subjective, qui se répand aujourd’hui sur les études du passé et les études culturelles du présent ». Sarlo remet en question la valeur du témoignage, qui annulerait la distance, pour raconter l’Histoire, et plus particulièrement la confiance dans la capacité du témoignage à la première personne et de l’expérience personnelle à raconter une époque, et l’idée qu’il serait possible de comprendre le passé à partir de sa logique et qu’il y aurait une transparence de l’expérience. D’une certaine manière, le livre de Sarlo s’interroge sur la manière d’aborder le passé que l’on cherche à construire, et sur les critères méthodologiques que l’on applique à cette construction.

Je crois que, bien que ce ne soit pas l’intention de l’auteur, nous pourrions lire dans le livre de Grassi une possible échappatoire à cette forme d’aveuglement par rapport à la première personne dont parle Sarlo, non pas tant en raison de l’imposition d’une distance par rapport à l’expérience — qui existe pourtant dans la critique du passé et que le livre thématise mais parce que, conformément au projet même des publications des années 1973-1974, le livre est loin d’être un témoignage qui se prétend neutre ou se défend dans un subjectivisme volontariste. Au contraire, le travail de témoignage-lecture-écriture de Grassi nous présente une mémoire explicitement militante (et, ceci dit, on peut se demander si la mémoire peut ne pas être militante). Mémoire militante dans deux sens : parce qu’elle est la mémoire d’un passé et d’une pratique journalistique populaire et militante, consistant dans le choix d’une langue familière et combative, d’une forme esthétique que l’auteur qualifie de nouvelle (un rapport particulier entre l’image et le texte) et dans la cession de la parole à ceux qui ont été réduits au silence, et parce qu’elle cherche à agir sur la réflexion du présent. Mais aussi, dans la mesure où il est aussi le témoignage d’une relecture, et où il est le produit d’une activité d’écriture méditée, le témoignage-lecture-écriture de Grassi présente une réflexion sur le travail d’écriture d’un mémoire, ses limites et ses enjeux :

Parcourir et narrer au présent la chronique vitale et exacerbée que le Desca a construite fait que celle-ci soit aussi une œuvre de fiction. Le défi consiste à ne pas traiter la fiction avec les connaissances acquises dans le passé. Mieux vaut dire tout de suite qu’il est fort probable que j’aie échoué.

 


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El Descamisado. Periodismo sin aliento

Hace unas semanas participé de unos encuentros filosóficos en la Maison de l'Amérique Latine, en París, organizados en torno a la traducción al francés de El descamisado. Periodismo sin aliento, un testimonio de Ricardo Grassi sobre el periódico El descamisado que supo aparecer entre 1973 y 1974 y ser el órgano de prensa oficioso de Montoneros. Como el libro (a través de la traducción de Odile Begué Girondo) me pareció interesante, me ocupé de escribir un pequeño texto y de plantear algunas preguntas que se desprenden en su totalidad de la lectura del testimonio (porque no me ha sido dada la oportunidad de leer ejemplares de El descamisado).
La falta de tiempo quiso que la mayoría de las preguntas no fueran respondidas, así que las dejo libradas al azar de quien por alguna razón llegue a este post, junto con el comentario que escribí.



Descamisados. Periodismo sin aliento se abre con la escena de un encuentro en Kaboul, en 2010, entre un ex antropólogo devenido agente de la CIA y Ricardo Grassi, autor del libro y antiguo director de la revista El Descamisado, que sobrevivió brevemente a su cierre a través de El peronista y La Causa peronista. La escena y las identificaciones ante el otro evocan el recuerdo de la revista y su época y la sitúan, desde la comprensión actual de ese momento histórico, en el contexto global de la Guerra Fría en el que los periodistas que la hicieron participaron, desde el periodismo, en el combate que enfrentaba la perpetuación del sistema capitalista, por un lado, y la revolución socialista, por el otro. Antes de entrar en el relato de la memoria, la escena nos presenta, así, la mirada del otro, el especialista estadounidense en contraterrorismo, en un lugar otro, Afganistán, y atraviesa la diferencia con el trazado de un paralelismo posible entre el enemigo de entonces, la amenaza comunista contra la que se libró, mediante la guerra sucia, una “primera guerra contra el terrorismo » (según la caracterización de la época realizada por John Dinges, a quien cita Ricardo Grassi), y el enemigo actual que recibe el vago nombre de “terrorismo musulmán”.

La escena final de escritura del libro que cuenta su propia génesis se cierra también en Afganistán, y explora precisamente las confluencias, paralelismos y divergencias entre las políticas gubernamentales postdictatoriales en Argentina y el “punto final” afgano dictado por la política estadounidense, entre el dolor de los familiares de detenidos y desaparecidos en el Cono Sur y el de los familiares del montañoso país asiático, entre la práctica periodística del autor y sus colegas entre los años 1973 y 1974, y la primera agencia de prensa independiente de Afganistán, Pajhwok Afghan News, de la que Ricardo Grassi supervisó el desarrollo.

Entre estos dos momentos de referencia a un pasado más cercano se despliega el acto de memoria, pero también de relectura y creación, que sirve de contrapunto a la práctica y reflexión sobre y en el presente. En este sentido, Descamisados. Periodismo sin aliento presenta, por un lado, la reconstrucción de la historia y las elecciones periodísticas, estéticas y políticas de El descamisado y las revistas sucedáneas, que desarrollaron un periodismo militante desde la llegada de Cámpora al poder hasta la publicación de la entrevista a Montoneros referida a la muerte de Aramburu y el paso a clandestinidad de la organización política y armada de la que sirvieron como órgano de prensa oficioso. De manera más general, en la medida en que para dar inteligibilidad a esta reconstrucción aborda la tensa relación entre la Juventud peronista y Montoneros, por un lado, y el tercer gobierno de Juan Domingo Perón, por el otro, y busca restituir el sentido, los anhelos y las contradicciones de la juventud peronista que perseguía la construcción de un socialismo nacional, el libro se nos presenta, en palabras del autor, como “la pintura de la vitalidad de una época y de mi generación”. Este doble trabajo de testimonio, realizado cuarenta años después de los hechos a los que hace referencia, le permite al Ricardo Grassi posicionarse con respecto a algunos de los libros que han sido publicados sobre el tema y corregir algunas interpretaciones (como en el caso de Perón o Muerte. Los fundamentos discursivos del fenómeno peronista de Silvia Sigal y Eliseo Verón).

Pero también, en la medida en que el acto de memoria se realiza desde un presente de activismo y acción político-periodística, y en que Descamisados. Periodismo sin aliento no es sólo un acto de memoria, sino también el producto de una labor de relectura, de crítica, y de una actividad meditada de escritura que recurre a estrategias literarias para introducir el recuerdo, los “personajes” del recuerdo y su importancia, Ricardo Grassi, lejos de elaborar solamente un libro sobre el pasado —por más presente que este pasado siga estando—, propone las mencionadas “confluencias, paralelismos y divergencias” para promover una consideración otra del presente.

En este sentido, me parece pertinente evocar una lectura que realiza Beatriz Sarlo en Tiempo pasado. Cultura de la memoria y giro subjetivo. En este libro de 2005, concebido ante el incremento bibliográfico de escritos en primera persona sobre las décadas de los sesenta y setenta en Argentina, la autora propone una discusión sobre lo que denomina como “giro subjetivo” y define como “la actual tendencia académica y del mercado de bienes simbólicos que se propone reconstruir la textura de la vida y la verdad albergadas en las rememoración de la experiencia, la revaloración de la primera persona como punto de vista, la reivindicación de una dimensión subjetiva, que hoy se expande sobre los estudios del pasado y los estudios culturales del presente”. Sarlo se pregunta sobre el valor del testimonio, que anularía la distancia, para el relato de la Historia, y problematiza específicamente la confianza en la capacidad de la primera persona del testimonio y la experiencia personal para narrar una época, y la idea de que sería posible entender el pasado desde su lógica y de que habría una transparencia de la experiencia. En cierta forma, el libro de Sarlo inquiere sobre la forma de abordaje del pasado que se busca construir, y sobre los criterios metodológicos que se aplican a esta construcción.

Creo que, aunque no responda a una intención del autor, podríamos leer en el libro de Grassi un posible escape de esta forma de ceguera respecto de la primera persona que discute Sarlo, no tanto por la imposición de una distancia respecto de la experiencia —que existe, sin embargo, en la crítica del pasado y que el libro tematiza—, sino porque, en consonancia con el proyecto mismo de las publicaciones de los años 1973-1974, lejos está el libro de ser un testimonio que se pretenda neutral o se defienda en un subjetivismo voluntarista. Al contrario, el testimonio-relectura-trabajo de escritura de Grassi nos presenta una memoria explícitamente militante (y, dicho esto, podríamos preguntarnos: ¿puede la memoria no ser militante?). Memoria militante en doble sentido: porque lo es de un pasado y de una práctica periodística popular y militante, consistente en la elección de un lenguaje coloquial y combativo, de una forma estética que el autor califica de novedosa (una particular relación entre imagen y texto) y en la cesión de la palabra a los silenciados, y porque busca actuar sobre la reflexión del presente. Pero también, en tanto es asimismo testimonio de una relectura, y es producto de una actividad meditada de escritura, el testimonio-relectura-trabajo de escritura de Grassi presenta una reflexión sobre el trabajo de escribir una memoria, sus límites y aquello que pone en juego.

Recorrer y narrar en el presente la crónica vital y exacerbada que construyó el Desca hace que esta sea también una obra de ficción. El desafío consiste en no traicionar la ficción con los conocimientos adquiridos posteriormente. He de confesar de antemano que es muy probable que haya fracasado en este intento.[1]

 

Las preguntas

1) En el libro usted propone en varias ocasiones una reflexión sobre el valor periodístico de El descamisado, el que, dice, creó un nuevo estilo en el periodismo argentino que abandonaba una neutralidad engañosa; se refiere al “discernimiento periodístico” (por ejemplo, cuando narra su segunda entrevista a Perón y critica el no haber hecho las preguntas correctas); y dice de La causa peronista que era “un manual de instrucciones semanal en un formato periodístico atrayente”.

A) ¿A qué denomina periodismo o criterio periodístico exactamente?

B) Usted dice que “los enemigos se apuraron a plagiar el estilo de El descamisado”. ¿A qué se refiere?

    Grassi no respondió a esta pregunta, pero unos colegas me permitieron aprender que la revista Punto de vista podría haberse inspirado de la estética de El descamisado (y que El ojo mocho, que se opone editorialmente a la revista de Sarlo, Altamirano, Piglia y Semán publicada entre 1978 y 2008, hizo de su título una pugilística referencia de esta confrontación de pareceres), todas estas cosas que no me voy a preocupar de verificar.

C) Recientemente, en ocasión del conflicto entre Clarin y el gobierno de Cristina Kirchner, se habló de “periodismo de guerra”. ¿Calificaría usted de “periodismo” a este tipo de labor?

D) Usted trabajó en la organización de Pajhwok Afghan News, y en su libro propone una vinculación entre esta labor y su trabajo en los años 1973-1974. ¿Podría extenderse en esta comparación? ¿El periodismo de Pajhwok Afghan News es similar al de El descamisado

    Ricardo Grassi contestó a esta pregunta con un rotundo "no". 

2) Podría extenderse en cómo entiende la relación entre periodismo, ficción, y testimonio? 

    Ricardo Grassi propuso que él plantea en su libro una relación entre periodismo, memoria y testimonio, pero no aceptó que se mencionara la idea de que podría haber una relación entre periodismo y ficción.

3) ¿Qué buscaba decir al proponerse como objetivo de escritura “no traicionar la ficción”?

    En este caso, la pregunta provenía del hecho que la traducción en francés —en la cita que evoco— me condujo a considerar que el autor hacía una relación entre memoria y ficción —en tanto la memoria puede funcionar como relato. Yo entendí que el autor planteaba que su libro, su testimonio, le debía también algo a la ficción o, mejor dicho, a la literatura, si no en lo que hacía referencia, al menos en un aspecto formal. Ricardo Grassi señaló que con su libro había buscado reconstruir su experiencia pasada sin “traicionarla” con sus conocimientos actuales. Es decir que, por volver a Sarlo, hay en su labor cierta confianza en la capacidad de la primera persona de reconstituir la experiencia pasada. Pero en su libro, por lo que dice la cita, se ve también ese saber que esta reconstrucción prística constituye una labor imposible. En suma, la lectura de El descamisado. Periodismo sin aliento me parece valiosa para quien se interese en la época o quien estudie la memoria, no tanto por lo que refiere (que es, de todos modos, interesantísimo), sino por los problemas que plantea o puede plantear.


[1] No tengo la versión en español del libro, sino la traducción francesa, así que me tomé la libertad de inventar una posible versión en español. Al eventual lector queda la tarea de verificar la exactitud de la retraducción en GRASSI Ricardo, El descamisado. Periodismo sin aliento, Buenos Aires, Sudamericana, 2015.


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4/2/21

¿Cómo testimoniar de la ausencia? Reflexiones en torno a La dimensión desconocida, de Nona Fernández

Hola, eventual visitante de este blog. Pongo acá una crítica de un libro de Nona Fernández con la que colaboré para el blog de crítica Afuera. Mantengo el estilo de cita orginal del artículo, y no pongo referencias al libro de Fernández porque lo leí en un Kindle. Gracias a Francisco Álvez Francese por pedirme que participara del dosier dedicado a la autora.

¿Cómo testimoniar de la ausencia? Reflexiones en torno a La dimensión desconocida, de Nona Fernández

“Quien con monstruos lucha cuide de convertirse a su vez en monstruo.

Cuando miras largo tiempo a un abismo, el abismo también mira dentro de ti.”

Friedrich Nietzsche, Más allá del bien y del mal.

1. El crimen, la postdictadura y la generación de los hijos

Una de las apuestas de los gobiernos de transición, tras las dictaduras que atravesaron el sur de América durante los años setenta, fue establecer un marco de oposición entre democracia y dictadura. En el Chile de la Concertación, en base a esta oposición se estableció una serie de correspondencias: si la dictadura había sido el mal y la manifestación del conflicto radical, la democracia basada en el consenso y la unión era el bien. Siendo pensada la democracia liberal como lo único que podía conjurar la dictadura y su tendal de amarga memoria, esta fórmula, binaria y tranquilizadora, servía como promesa de un “nunca más”, pero volvía incomprensible, también, aquello que había precedido al régimen pinochetista.

Otras lecturas, sin embargo, consideran este relato binario no sólo reductor, sino fundamentalmente falso, y en donde la transición ve una ruptura límpida proponen observar, en cambio, una permanencia. Permanencia del crimen, en la medida en que no haya justicia o el secreto militar sea mantenido, y, sobre todo, continuidad de un modelo económico y político fundado en la clandestinidad: el de un mundo de derecha, neo-liberal. En Los prisioneros de la torre, la argentina Elsa Drucaroff denomina “postdictadura” a esta continuidad, y la caracteriza como una “presencia fantasmal”. La postdictadura es, para la autora, las sobrevivas espectrales en democracia del régimen militar, que acecha y condiciona la vivencia y el arte posterior a la dictadura en “un mundo con un pasado impensable, incognoscible, vuelto tabú”[1]. Su hipótesis, en este sentido, es que eso que llama “nueva narrativa argentina” (es decir, la literatura escrita por las generaciones de postdictadura) da cuenta, en cierta medida, de la experiencia traumática de este abismo con el pasado, y de la pregunta sobre cómo se llegó al presente de lo fantasmagórico, irresuelto y silenciado.

Si las dictaduras de los setenta no respetaron fronteras, podemos considerar que la hipótesis de Drucaroff, también, tiene una pertinencia transfronteriza. En este sentido, La dimensión desconocida (2016)[2], de la chilena Nona Fernández (1971), forma parte de la narrativa de los años posteriores a la dictadura que escribe sobre el mundo poblado de fantasmas que heredamos de las dictaduras en el Cono Sur. Filiándose en la “generación de los hijos”, es decir, aquella crecida bajo la sombra del régimen de Augusto Pinochet, su novela se propone explorar los grises ausentes del relato de la transición a través de un ejercicio de la imaginación y de la memoria, a la que llama a despertar a su estado de monstruo incómodo, peligroso y bestial en el que, nos dice, debiera mantenerse. La dimensión desconocida comienza, así, presentando el inicio de una escena de testimonio, de confesión: aquella de Andrés Antonio Valenzuela Morales, Papudo, el “hombre que torturaba”, miembro entonces del servicio de inteligencia de la Fuerza Aérea chilena, al presentarse ante Mónica González, periodista de la revista Cauce, el 27 de agosto de 1984, para referirle su pasado reciente de tortura y la causa de su olor a muerto.

A partir de esta escena y a través de cuatro capítulos a los que denomina “zonas”, en referencia a las del Museo de la Memoria chileno, Nona Fernández, narradora, nos propone un viaje: atravesar el umbral de lo cotidiano, de la rutina, y entrar a la “dimensión desconocida”. Dimensión desconocida es la de la tortura y la desaparición (experiencias de las que la memoria de los hijos y los nietos no puede dar cuenta, y a la que se accede por el testimonio de Valenzuela Morales), pero propone la novela que, lejos de ser extraordinaria, acecha desde dentro lo conocido, porque “no es tan difícil transformarnos en lo que más tememos”. El testimonio del hombre que torturaba, la historia de su viaje y su voz, marcada en cursivas, son el hilo rojo que sigue la narradora para pensar la transformación en torturador y el devenir posterior de esta figura ambigua, intentar una comunicación con el pasado, reconstruir las historias de personas en cuya desaparición y muerte el Papudo estuvo involucrado, visitar los sitios en donde terminaron estas vidas e indagar en su propia infancia, contemporánea a los hechos, y en su tarea de escritura y cartografía de un mundo desconocido. Las referencias al consumo cultural (The Twilight Zone, que da nombre a la novela, las historias de fantasmas de la infancia, diarios, programas de televisión y documentales), por su parte, son la materia con la que elaborar un sentido de ese pasado que se esforzó por hacerlo estallar.

Receptora involuntaria del horror, la generación de los hijos, en la evocación de la memoria y en la búsqueda de su transmisión, se enfrenta a preguntas que podemos explorar acompañando a Nona Fernández en su viaje a la dimensión desconocida: ¿cómo se practica la memoria en la ausencia de recuerdo? Es decir, ¿qué formas toma la memoria en la generación de los hijos, afectados en tanto que no estuvieron ahí, doblemente despojados? ¿Con qué aspecto se manifiesta su aparición, cómo se comunica y, ante todo, cómo se transmite?

2. Emanaciones del crimen: de fantasmas, detectives y testigos

Dos figuras tópicas son evocadas de forma recurrente en La dimensión desconocida: el fantasma (o sombra) y el espía (o detective). Las dos se presentan en una escena que tiene lugar dos veces (en la Zona de Ingreso y en la Zona de Escape): la de la narradora mirando la imagen del hombre que torturaba testimoniar en la pantalla de su computadora, y viendo reflejado, en este acto, su rostro sobre el rostro del otro:

Mi rostro se refleja en el vidrio, mi cara se funde con la suya.

Me veo detrás de él, o delante de él, no lo sé.

Parezco un fantasma en la imagen.

Una sombra rondándolo, como un espía que lo vigila sin que se dé cuenta.

Creo que en parte soy eso: un espía que lo vigila sin que se dé cuenta.

Si espía y fantasma caracterizan, en principio, a la narradora, posteriormente van a volver a aparecer para designar a otros personajes. Hacen de espía, claramente, los miembros de las fuerzas de inteligencia, pero también los abogados de la Vicaría de la Solidaridad que los investigan, o la población que observa la acción clandestina tras las cortinas. Fantasmas son el hombre que torturaba, al pasar a la clandestinidad por haber denunciado la clandestinidad, el recuerdo de los desaparecidos que lo acosan en el exilio, la narradora que le escribe preguntas en el futuro, y las imágenes censuradas en el Museo de la Memoria e indicadas con recuadros en blanco. En la escena trunca de comunicación con el viajero del pasado, hay, pues, una multiplicación de las figuras del fantasma y el espía, que son, ambas, emanaciones de un crimen fundacional y un enigma sobre el que hay que echar luz. Ambas se vinculan, también, con una tercera figura que las une como el crimen o el enigma de la muerte: aquella del testigo que motiva el recorrido propuesto por la novela y que es, él también, una presencia que pertenece a dos mundos: el corriente y el que la autora llama “dimensión desconocida”.

3. Formas y figuras del testimonio: todo testimonio es testimonio de sí

Si Papudo, el hombre que torturaba, se nos presenta como testigo, fantasma y espía, lo mismo pasa con la narradora y con el protagonista del video de “We didn’t start the fire”, canción que elige para concluir su reflexión sobre el papel que le tocó jugar a su generación. ¿Qué genera esta serie de correspondencias?

Hipótesis de lectura: La dimensión desconocida puede ser leída en torno a la figura del testigo y del testimonio (de lo otro, de la muerte), en sus múltiples relaciones con la responsabilidad y en sus diversas presentaciones. La primera, evidente, es la del hombre que torturaba, y su testimonio vocal, transcrito, que recorre la novela en cursivas. Este primer testigo híbrido (víctima-victimario, monstruo arrepentido), que escapa a la división binaria de las películas de acción y de la narrativa oficial, no es sobreviviente, ni es un testigo cómodo: ¿qué motiva su acto? ¿Cómo juzgarlo? A medida que recorremos su testimonio surgen preguntas sobre lo que cuenta, o mejor, sobre sobre lo que no dice o no enfoca: hay, en la novela, una puesta en evidencia del inevitable enfoque, del carácter siempre sesgado del testimonio, de su estar situado. En suma, de que, como señala Derrida en “Poétique et politique du témoignage”[3], el yo, antes de testimoniar sobre otros, testimonia sobre todo de sí y su responsabilidad (por lo actuado, y por lo testimoniado). Junto al hombre que torturaba, la novela presenta a otros testigos del mismo cuño, pero menor ambigüedad moral: los abogados de la Vicaría de la Solidaridad, cuyo discurso también atraviesa parte de la novela, en discurso indirecto libre.

En contraste con estos testigos, se presentan otros tres de destino frustrado. En primer lugar, todos los espías que no testimoniaron y escaparon a su responsabilidad: la sociedad civil, que normalizó la irrupción de la dimensión desconocida, de modo que “los gritos que salían de las sesiones de tortura convivían con la música de la radio que se escuchaba en el barrio [y] los prisioneros que entraban y salían por este portón comenzaron a hacerse parte del paisaje”. En segundo lugar, y relacionado con esto, todos los testigos que no supieron ver o ser espías, víctimas de la ceguera por desatención que, además, no ejercitaron la memoria, como la madre de la narradora, espectadora desatenta del secuestro y la desaparición de un hombre. En tercer lugar, en un plano sin punto de comparación, los verdaderos testigos del horror, de los que no puede haber testigos, de los que no se puede conocer la memoria, porque no sobrevivieron: los desaparecidos, cuyos fantasmas persiguen al hombre que torturaba y se pasean en las memorias de la generación de los hijos. Todos estos testimonios malogrados, hundidos en la desaparición y la desmemoria, generan una pregunta de signo distinto: ¿cómo podría restituirse lo perdido? ¿Cómo dar sentido a aquello de lo que no puede haber memoria, de lo que se nos escapa, de lo que desapareció?

La última figura del testigo se encuentra en el punto opuesto a las anteriores, y se revela en su indagación: es la de la narradora que, tras recorrer y describir archivos, imágenes, lugares de memoria, entrevistas y documentales, recuerdos personales y ficciones en diálogo, se des-cubre, en la Zona de Escape, como testigo de los testimonios, como testigo (y, por tanto, destinataria, jueza, interlocutora) del testigo. Esto significa, por un lado, que carga una responsabilidad hermenéutica, y es, entonces, detective de las pistas abandonadas en grabaciones e imágenes, espía de los hilos de Ariadna que permitan armar un mapa emocional de la “dimensión desconocida”. Pero si esta responsabilidad asumida supone cartografiar las persistencias de la “dimensión desconocida” (las ramificaciones subterráneas de los crímenes), por otro lado, exige también preguntarse sobre aquello que produce asumirla: sobre lo que deviene la sensibilidad del que opta por el camino de la memoria y contempla, insomne, el abismo.

He trabajado tanto con estas imágenes que como un buitre me he acostumbrado a ellas y he perdido toda sensibilidad frente a lo que generan. El escalofrío revelador que sentí al conocerlas se terminó transformando en algo cotidiano y corriente. Ahí están otra vez esos retratos de los hornos de Lonquén. Veo los cráneos perfectamente ordenados luego de la exhumación. Veo a los familiares rezando y llorando con la fotografía de sus seres queridos prendida en el pecho. Veo, y pienso que faltaron algunas imágenes. Mi cerebro robotizado analiza, suma y resta, reconstituye el Archivo Lonquén de mi computador, hace clic y desclasifica algunas escenas y fotografías que se trabajaron, y concluye que en este corte final se perdieron algunas más efectivas, más elocuentes. [Mis cursivas]

Podemos suponer que es la sospecha sobre el devenir-buitre (de los cadáveres ausentes) lo que emparienta al investigador-espía con el torturador-testigo al que acosa con cartas, y que hace que este, en su imaginada respuesta, le responda que, quizás, ella sea, en el futuro, el verdugo al que espera. Se impone así para el testigo de la ausencia, para el testigo-detective, otro tipo de responsabilidad: no sólo la de rendir cuentas de sí y de la veracidad de su testimonio, sino también la de dar cuenta de la forma de abordaje sobre lo atestiguado. Esto es, por otra parte, solidario con el problema formal del tipo de testimonio que puede ofrecer la generación de Fernández. En efecto, si se plantea, por un lado, una pregunta sobre lo que demanda la creación del testimonio (¿cómo abordar el archivo?, ¿cómo no devenir insensible?, ¿cómo no generar un tipo de ceguera equivalente a la ceguera por desatención de la que estoy avisada?), se presenta también, por otro, un cuestionamiento en cuanto a la performatividad del testimonio de los hijos, de los ausentes: ¿hay testimonio, si nadie lo recibe? ¿Cómo se realiza un testimonio de la desaparición?  

4. El testimonio implica una experiencia estético-pedagógica

Segunda hipótesis de lectura: La dimensión desconocida puede ser leída como testimonio, y en tanto tal, como exploración formal sobre la forma de testimoniar del crimen fundacional en ausencia y lo que testimoniar significa. Podemos abordar este análisis en torno a tres proposiciones: 1) testimoniar es testimoniar de otros, y es hacer una mediación de la voz de otros; 2) testimoniar es dar cuenta de una presencia y, por lo tanto, re-presentar; 3) testimoniar no es lo inverso de imaginar.

1) El testimonio, mediación de la voz de otros

La dimensión desconocida se nos presenta con un relato en primera persona casi ininterrumpido. Sin embargo, se nos da a entender que hay una voluntad de comunicación, y en este libro sin marcas de diálogo hay, sin embargo, una conversación que pauta las partes de la novela, entre el primer testigo (el hombre que torturaba) y los testigos del testigo (la narradora, los hijos). La novela es, así, la ficción de una escena dialogal trunca.

¿De qué testimonia, pues, la novela? No sólo del crimen, sino del testimonio del crimen: nos presenta las pistas del delito, hace de testigo del testimonio del otro, y nos muestra que establece un diálogo epistolar. ¿Qué forma adopta este testimonio? La de una intertextualidad y pluralidad genérica: relato memorial del yo, ficción, crónica… Nona Fernández parece sugerir que, si testimoniar es testimoniar de sí, como sostenía Derrida, es también dar cuenta de lo que construye los marcos de comprensión del yo (de ahí las referencias pop a los consumos culturales), y del punto en donde el yo está inevitablemente permeado por otros:

¿De quién son las imágenes que rondan mi cabeza? ¿De quién son esos gritos? ¿Los leí en el testimonio que usted entregó a la periodista o los escuché yo misma alguna vez? ¿Son parte de una escena suya o de una escena mía? ¿Hay algún delgado límite que separe los sueños colectivos? […] ¿Podremos escapar de ese sueño alguna vez? ¿Podremos salir de ahí y dar al mundo la mala noticia de lo que fuimos capaces de hacer? [Mis cursivas.]

2) Testimoniar, re-presentar

En el testimonio, dice Derrida, el testigo jura haber estado presente. Eso implica elecciones formales a la hora de narrar. Hemos dicho que la novela de Nona Fernández presenta testimonios de otros y se constituye, a su vez, como un testimonio en sí. En este sentido, encontramos una contraposición: si los testimonios ajenos y propios del pasado se narran en el pretérito indefinido del fue, hizo, supo-supe, hice, fui (las partes que representan las confesiones del Papudo, pero también aquellas que nos presentan el recuerdo de la infancia de la narradora), la mayor parte de            La dimensión desconocida se narra en un presente histórico, apenas suspendido por futuros hipotéticos o pretéritos de la narración interrumpida (de los relatos truncos).

¿Por qué elegir el presente para la narración? A partir de las hipótesis propuestas, una primera respuesta nos diría que con esto se busca hacernos testigos inmediatos de lo contado, y conferir mayor relevancia o interés al momento deseado y efectivo, el instante en que se define la vida de un hombre (por ejemplo, los momentos en que el hombre que torturaba testimonia, o el instante preciso en Mario se salva de la muerte y asiste al asesinato de lo que quedaba de su familia postiza). Además, diría el lector atento, en este tiempo tiene lugar siempre la escena de testimoniar: el yo se dice en presente, incluso cuando se declina en pasado, en la fórmula “yo (digo de mí que) dije y fui”. Y en presente están siempre las pistas, los rastros, y tiene lugar la escena de recepción e interpretación que testimonia la novela: de una fotografía, una película, un testimonio grabado. Testimoniar de la huella, evocarla-invocarla, es, en este sentido, present(imagin)arla. Pero podemos encontrar otras relaciones: a) evocar, en la memoria, es siempre re-presentar (o, en otros términos, la memoria siempre se declina en presente, en el aquí y ahora); b) re-presentar el pasado es imaginarlo, es decir, figurarlo, evocarlo en imágenes que pueden resultar de la experiencia, o ser vicarias; c) representar, en la imaginación, es siempre también una operación que se efectúa en presente.

3) Re-presentar es imaginar

Es esta la apuesta más importante de La dimensión desconocida, que se enuncia ya en forma de epígrafe: testimoniar no es lo inverso de imaginar. Al contrario, nos dice Nona Fernández, el acto de hacer memoria está permeado por la imaginación, única forma, aparte de la investigación y la consulta de archivos (que son siempre parciales), de dar cuenta y otorgar sentido a aquello de lo que no puede haber memoria, porque desapareció. Es el caso, sobre todo, del testigo del testigo, para quien testimoniar es también dar cuenta de la imaginación (de la ausencia, de lo desconocido):

Imagino y hago testimoniar a los viejos árboles,

al cemento que sostiene mis pies,

al aire que circula pesado y no abandona este paisaje.

Imagino y completo los relatos truncos,

rearmo los cuentos a medias.

Imagino y puedo resucitar las huellas de la balacera.

Lejos de ser perjurio, traición del testimonio, la imaginación es lo único que permite, una vez perdido el pasado (una vez en postdictadura) resucitar las huellas y completar los relatos ya para siempre truncos. En palabras imaginadas del hombre que torturaba, “Usted lo ha contado mejor que yo. / Su imaginación es más clara que mi memoria”. La contracara de este planteo, en la novela, es la explicitación del “yo” de la narradora: si imaginar no es lo inverso de testimoniar, sino un acto responsable ante el llamado de lo desconocido, es porque en su acto de imaginar, el agente de la memoria testimonia en todo momento de su presencia, su implicación emocional, las operaciones que ejecuta sobre las imágenes que dice mirar y aquello que narra. Así, la narración se sucede en torno a verbos que articulan lo que se nos presenta: veo, estoy, recuerdo, imagino. En este sentido, además de ser una experiencia estética, en La dimensión desconocida, el testimonio tiene un valor pedagógico. Es decir, al tiempo que la narradora encuentra lo no dicho en el testimonio del hombre que torturaba, pone también de aviso al lector de sus propias operaciones de distracción en la tarea de escritura.

5. El poeta-testigo como médium de la memoria

            Vimos al principio de esta reseña que La dimensión desconocida se estructura como un viaje a través de cuatro zonas. La zona final, de Escape, es aquella por la que se sale de la cartografía de la “dimensión desconocida”. En ella la narradora nos deja observar, en el presente, las remanencias de lo desconocido: la violencia que se perpetúa contra otras víctimas, como en la historia de Estrella González (protagonista de Space Invaders, de 2013), el olor a velitas que se consumen cíclicamente frente a los memoriales, porque sólo se quiso hacer justicia “en la medida de lo posible”, el estar afectado por la memoria y el pasado. La repetición marca la Zona de Escape: en la fórmula para caracterizar la época en la que creció (“eran tiempos de…”), en el estribillo de la canción de Billy Joel que tararea (“Nosotros no empezamos el fuego. No lo encendimos, pero intentamos apagarlo”), en el racconto de acontecimientos cuando emula la canción y hace su propia exposición de la historia reciente chilena (“Familiares de detenidos desaparecidos encienden velas frente a la Catedral”; “El mundo se ríe de la democracia chilena”). La repetición, podemos entender, es una forma de leer la democracia desde la perspectiva de la postdictadura, que enlaza las desapariciones del pasado con los asesinatos de militantes mapuches o femicidios de jóvenes.

 

Observamos, a lo largo de esta lectura de La dimensión desconocida, que los tópicos usados para calificar al hombre que torturaba (espía, fantasma, testigo) son usados también por la narradora para caracterizarse a sí misma. Hicimos coincidir los tópicos en una sola figura, la del testigo, para comprender las correspondencias y explicitar una reflexión sobre el acto de testimoniar la memoria. La Zona de Escape, sin embargo, presenta una cuarta figura que ya sólo designa a la narradora, y que bien podría ser la primera en orden de importancia: la del médium. Terminemos, entonces, este recorrido entre fantasmas abriendo esa puerta de escape.

El poeta de la Grecia antigua iniciaba su canto invocado a la musa para que diera a conocer los acontecimientos del pasado. Hijas de Mnemosyne, la Memoria, las musas inspiraban al poeta para que corriera el velo de la Verdad (alétheia) y formulara la palabra verdadera. Alétheia, en la Grecia arcaica, era lo contrario del olvido: la alfa inicial era la negación de Lethé, el olvido que quita presencia, que se relaciona con el silencio. Memoria y verdad eran, así, potencias solidarias, y el poeta, que tenía una revelación inmediata del pasado inspirado por las musas, hacía de intermediario entre el más allá y el mundo de los vivos:

¿Cuál es entonces la función de la memoria? Ella no reconstruye el tiempo; tampoco lo anula. Haciendo caer la barrera que separa el presente del pasado, tiende un puente entre el mundo de los vivos y el más allá al cual retorna todo lo que ha abandonado la luz del sol. […] El privilegio que Mnemosyne otorga al aedo es el de un contacto con el otro mundo, la posibilidad de entrar allí y de volver a salir libremente. El pasado aparece como una dimensión del más allá.[4]

La memoria, en la Grecia arcaica, era una potencia religiosa que confería al verbo poético el estatuto de palabra mágico-religiosa, y en ese sentido, señala Marcel Detienne, el poeta, figura de naturaleza ambigua, mediador entre los dioses y los hombres, tenía una función socio-religiosa: celebrando a los inmortales y a los guerreros, hacía de funcionario de la soberanía.[5]

Nona Fernández, narradora, también invoca para fijar una historia en palabras, pero no a una diosa que la inspire, sino a fantasmas con los que entablar conversación. La situación es inversa: no hay diosa que todo lo sepa, sino testigos parciales; no hay mundo sempiterno, sino un pasado tragado por la ausencia. La poeta-testigo, sin embargo, mantiene su naturaleza híbrida que permite hacer presente lo pasado y mantener un punto de conversación, y por eso, quizás, los mismos calificativos que caracterizan los seres de la dimensión desconocida se le aplican: es necesario dejarse tocar o poseer por lo otro para des-velarlo. Pero si la palabra poética contenía una Verdad de lo otro, en La dimensión desconocida la poeta ya solo puede dar fe de sí en su intento de aproximación al afuera. Y su función no es conservadora, sino que busca, al contrario, desestabilizar.

Quizás por eso mismo, la Zona de Escape de La dimensión desconocida marca una ruptura. Abandonando, dice, la fórmula con la que enlazaba reflexiones a los testimonios del hombre que torturaba en zonas anteriores, y también, la omnipresencia del “yo”, que deja, al fin, por un momento, lugar a un “nosotros”, una de sus últimas escenas muestra a la médium soplando las velas cíclicas de un memorial a los muertos, para que la memoria no sea ya la repetición de una ceremonia, sino un elemento de cambio.



[1] Drucaroff Elsa, Los prisioneros de la torre. Política, relatos y jóvenes en la postdictadura, Buenos Aires, Emecé, 2011, p. 26.

[2] Fernández Nona, La dimensión desconocida, Chile, Random House, 2016. Todas las citas sin referencia corresponden a la versión para Kindle de la novela.

[3] Derrida Jacques, “Poétique et politique du témoignage, Le Cahier de l’Herne sur Jacques Derrida, París, L’Herne, 2004, pp. 521-539.

[4] Vernant Jean-Pierre, Mito y pensamiento en la Grecia antigua, Barcelona, Editorial Ariel, 2001, p. 96-97.

[5] Detienne Marcel, “La memoria del poeta”, Los maestros de la verdad en la Grecia arcaica, Madrid, Taurus, 1983, p. 21-38.


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2/7/15

L’autonomisation de la conscience et la notion d’idéologie dans "L’Idéologie allemande" (bref résumé)

L’autonomisation de la conscience et la notion d’idéologie dans L’Idéologie allemande

Le texte de Marx que nous allons commenter fait partie du 5e fragment de la première partie de L’Idéologie allemande, d’accord à la traduction parue aux Éditions sociales en 1976 sous la responsabilité de Gilbert Badia. Cet ouvrage de Marx et Engels, qui fut écrit en collaboration entre 1845 et 1846 et fut publiée en 1932 par l’Institut du marxisme-léninisme du P.C. de l’URSS et qui reste aujourd’hui fragmentaire, s’organise tout entier autour de la notion de « production de ses propres moyens d’existence [de l’être de l’homme, Sein], activité à la fois personnelle et collective (trans-individuelle), qui le transforme en même temps qu’elle transforme irréversiblement la nature, et qui ainsi constitue  “l’histoire” » (Balibar 2014 : 76), notion à partir de laquelle Marx offrit une genèse des formes sociales en suivant le fils conducteur de la division du travail. En particulier, dans la première partie du livre, intitulée Feuerbach, les auteurs font une critique de l’idéalisme des Jeunes-Hégéliens et proposent d’étudier le développement de la conscience à partir d’une perspective matérialiste, selon laquelle les représentations, les idées et les concepts (c’est-dire, les produits de la conscience) sont un produit du mode de production et de la vie matérielle des hommes. Dans ce contexte, le fragment à commenter explique la fonction que remplit la conscience en tant que produit historique et matérielle. Au début, le fragment établit une caractérisation de la conscience et postule son développement parallèle à celui de la division du travail. Ensuite, il poursuit à faire une description du processus de l’autonomisation de la conscience. Finalement, il établit la nécessité d’une révolution qui abolisse la division de travail étant donné les relations contradictoires et conflictuelles qui se produisent entre la force productive, l’état social et la conscience. L’enjeu principal de ce fragment est, à notre-avis, expliquer comment les produits de la conscience peuvent se constituer comme des idées autonomes et faire surgir l’idéologie. Pour faire cela, Marx propose d’étudier la division du travail matériel et intellectuel et la relation de domination qui surgit à partir de l’apparition de cette différence intellectuelle.
Pour analyser ce fragment de Marx, nous ferons premièrement une description du contexte où il se trouve – la première partie du livre – et des enjeux et des notions principales posées par l’auteur. Ensuite, nous ferons un commentaire détaillée du texte en analysant comment il emploie des termes spécifiques comme ceux de « conscience » et  « idéologie » et quel est le lien entre l’idéologie et la notion de division du travail intellectuel et matériel. En particulier, nous allons suivre la lecture qu’Étienne Balibar fait de L’idéologie allemande dans son livre La philosophie de Marx pour clarifier le rôle de la notion d’État et de la différence intellectuelle dans la théorie marxiste sur l’idéologie.

I. La problématisation de la théorie de la conscience des jeunes Hégéliens d’après Marx: la proposition d’une histoire avec des présuppositions vérifiables par voie empirique
            Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie,
mais la vie qui détermine la conscience.
(Marx et Engels 1982 : 78)

       Le début du livre de Marx et Engels présente avant tout une critique des différents courants – l’idéalisme et l’ancien matérialisme (Balibar 2014 : 48, 51) – de la philosophie allemande représentée par les  « Jeunes Hégéliens ». Cette polémique est signalée par le titre de la première partie de l’ouvrage, L’Idéologie allemande. Critique de la philosophie allemande la plus récente dans la personne de ses représentants Feuerbach, B. Bauer et Stirner, et se déroule dans deux moments. Tout d’abord, dans le préface et les fragments 1 et 2 (Marx et Engels 1982 : 59-69) se présente une caractérisation générale de la pensée allemande du XIXe siècle en tant philosophie qui propose que les idées et les représentations dominent des hommes. D’après Marx, aussi bien les Jeunes-Hégéliens que les Vieux-Hégéliens partent de la croyance que le monde réel est le produit du monde idéal (p. 61), c’est-à-dire, ils subordonnent la base matérielle du développement social au mouvement des idées que les hommes se font sur eux-mêmes :
« Chez les Jeunes-Hégéliens, les représentations, idées, concepts, en un mot les produits de la conscience, qu'ils ont eux-mêmes promue à l'autonomie, passent pour les chaînes réelles des hommes, au même titre qu'ils sont proclamés  et tenus pour les liens réels de la société humaine par les Vieux-Hégéliens » (p. 65). Par conséquent, pour les Jeunes-Hégéliens le moyen de libération implique bouleverser l’état des choses à partir du raisonnement critique (p. 61).
       D’une façon peut-être un peu schématique, nous pouvons penser que le désaccord de Marx et Engels avec les Jeunes Hégéliens part de la perception d’un manque dans la philosophie allemande du XIXe siècle, tel qu’est indiqué à la fin du premier fragment : «Il n’est venu à l’idée d’aucun de ces philosophes de se demander quel était le lien entre la philosophie allemande et la réalité allemande, le lien entre leur critique et leur propre milieu matériel » (p. 66, nos italiques)[1]. Le deuxième moment du travail de Marx et Engels dans La philosophie allemande va donc porter sur ce lien entre le milieu matériel et les idées et représentations de la conscience. L’enjeu est triple. Il s’agit, d’une part, de faire une histoire des hommes (p. 69, note 4) à partir des « présuppositions réelles […] vérifiables par voie purement  empirique » (p. 70). Cela sera fait par Marx à partir des notions de production et de division du travail. Il s’agit, d’autre part, d’étudier le rôle de la conscience et les conditions de son autonomisation, qui donnent lieu à l’apparition des idéologies.  Ces deux enjeux sont solidaires d’une troisième : il s’agit, finalement, de faire une théorie sur la révolution.
       Par conséquent, au contraire des Jeunes-Hégéliens, Marx propose de partir de l’activité des hommes et les rapports qu’ils entretiennent pour faire une histoire des hommes et de l’idéologie : c’est la production des moyens d’existence ce qui distingue des hommes des animaux et qui produit le mode de vie et l’être des hommes, aussi bien que ses relations. D’après Marx, le mode de production représente
« un  mode déterminé de l’activité de ces individus, une façon déterminée de manifester leur vie, un mode de vie déterminé » (p.71). Ce mode de vie « reflète très exactement ce qu’ils sont. Ce qu’ils sont coïncide donc avec leur production […]. Ce que sont les individus dépend donc des conditions matérielles de leur production » (p. 71, nos italiques). Pour faire une historisation des modes de production,  Marx suit le développement de la division du travail, puisque le degré de développement de la division du travail indique le degré de développement des forces productives d’une nation, c’est-à-dire, « [t]oute nouvelle étape de la division du travail caractérise un certain mode de production et d’échanges » (Balibar 2014 : 77). Cette histoire des stades de développement de la division du travail implique aussi faire une histoire parallèle de l’évolution des formes de propriété qui sont la contrepartie des différents modes de production (Balibar 2014 : 77 ; Marx et Engels 1982 : 72).
       Après avoir fait une brève histoire des formes de propriété, Marx arrive dans le quatrième fragment à ce que Balibar appelle « la partie polémique » du texte : la détermination du lien entre la structure sociale, la structure politique et les produits de la conscience et la production (Marx et Engels 1982 : 76), il s’agit, donc, de faire ce qui n’ont pas fait les Jeunes-Hégéliens, c’est-à-dire, de penser le lien entre l’idéologie et le milieu matériel. Comme nous avons déjà dit, Marx trouve l’origine de l’idéologie et les produits de la conscience dans le milieu matériel : « À l’encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c’est de la terre au ciel que l’on monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s'imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu'ils sont dans les paroles, la pensée, l'imagination et la représentation d'autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os; non, on part des hommes dans leur activité réelle, c'est à partir de leur processus de vie réel que l'on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital » (Marx et Engels 1982 : 78). Par conséquent, la philosophie, la morale, la métaphysique et « tout le reste de l’idéologie » (p. 78) n’existent pas de façon autonome, et s’ils ont l’air d’être autonome et de dominer la vie (Marx emploie comme métaphore éclairante celle de la camera obscura [p. 78]), cela répond aussi aux processus historiques. En proposant cette idée Marx n’élabore pas seulement, comme signale Balibar (2014 : 86), une théorie de la méconnaissance ou de l’illusion due à un écart constitutif entre la conscience et la réalité. En effet, la proposition est problématique[2] : comment est-ce que se produit l’autonomisation de la conscience ? Quel est le lien entre l’idéologie et la production ? Quel rôle accomplit les fantômes, les concepts et la « mystification » qu’implique l’idéologie ? Comme signale Balibar, ces questions qu’ouvre le texte doivent être lues à partir du thème de la domination d’une classe sur les autres, comme nous verrons en analysant le texte proposé.

II. L’autonomisation de la conscience : genèse et problématique

Une fois établie l’histoire de la division du travail et les présuppositions ou les aspects originels de toute existence humaine – le fait que les hommes doivent produire des moyens pour satisfaire leurs besoins, le fait que la satisfaction du premier besoin produit des nouveaux besoins, le fait que l’homme se reproduit[3] et que cela implique un rapport naturel aussi bien que social (Marx et Engels 1982 : p.86-88)[4] – Marx étudie dans le fragment à commenter la conscience. Sa méthodologie implique suivre le développement génétique de la conscience, dans l’intention d’expliquer quand et comment se produit son autonomisation, ce qui permet l’existence des idéologies et de la théorie « pure » en général. Or qu’est-ce que la conscience chez Marx ? Dans L’Idéologie allemande, la conscience est avant tout un produit social qui apparaît avec le besoin en tant que « rapport avec ce qui m'entoure » (p. 89, note 2) : c’est une conscience du milieu sensible et de la « connexité limitée avec des autres personnes », rapport social qui est nécessaire parce que l’homme a besoin du commerce  avec des autres hommes pour vivre.  Or la conscience surgit comme résultat d’une altérité – elle est conscience « de la nature qui se dresse d’abord en face des hommes comme une puissance foncièrement étrangère » – et du besoin, tel que le langage – en fait, la conscience réelle se manifeste dans le langage ; le langage est la conscience pratique qui existe dans le commerce et  le rapport social, selon Marx. La conscience est ainsi « entachée » de matière, elle est « non-pure » et surgit dans l’être du processus de vie réel. C’est dans ce sens-là que pour Marx elle remplit la place que l’instinct a pour les animaux ; elle est « instinct conscient » (p. 90) et conscience grégaire parce que la relation que l’homme a avec son milieu est un rapport social.
Or, comment est-ce que se produit l’autonomisation de la conscience, étant donnée son enracinement dans la matière ? Marx explique que cela se produit parallèlement à l’apparition de la division du travail matériel et intellectuel. En effet, la conscience grégaire se perfectionne à mesure qu’augmente la population – et en conséquence deviennent plus complexes les besoins et la productivité –, et la même chose se passe avec la division du travail. Primitivement la division du travail consiste en celle qui se produit dans l’acte sexuel : c’est la différence de sexe celle qu’on trouve ici comme origine de la division du travail. Ensuite, se produit une division du travail en fonction des besoins, des hasards des dispositions naturelles. La conscience reste dans ces étapes de la division du travail comme conscience grégaire. C’est seulement à partir du moment où les conditions matérielles permettent la division du travail matériel et intellectuel – c’est-à-dire, le surgissement de la différence intellectuelle et d’une activité qui n’est pas directement liée à la production des moyens d’existence[5] – que la conscience peut s’autonomiser. Pour Marx, celui-ci est le moment où la division du travail « devient effectivement division du travail » (p. 90). La différence intellectuelle et l’autonomisation de la conscience sont donc des processus liés, mais pourquoi ? Qu’est-ce que Marx veut dire quand il parle sur une « effective division du travail » ? Balibar propose une réponse à ces questions à partir du thème de la domination d’une classe sur les autres. En effet, la différence intellectuelle implique l’apparition d’une classe d’individus qui sont à côté de la nécessité de la production matérielle et la consolidation d’une autre classe qui fait le travail manuel ; une telle classe peut exister grâce au travail de l’autre. Ainsi, la division du travail implique une distribution inégale de la répartition du travail et de ses produits et en conséquence elle implique aussi la propriété en tant que « libre disposition de la force de travail d’autrui » (Marx et Engels 1982 : 92), c’est-à-dire, en tant qu’instauration d’un schéma lié à la domination. D’après Balibar, la différence intellectuelle pose ainsi « le principe d’une domination qui se constitue dans le champ de la conscience et la divise elle-même, en produisant des effets eux-mêmes matériels » (p. 94). De ce fait, à partir du moment où surgit cette différence, « la conscience peut vraiment s'imaginer qu'elle est autre chose que la conscience de la pratique existante, qu'elle représente réellement quelque chose sans représenter quelque chose de réel » (Marx et Engels 1982 : 90, nos italiques). Cette conscience « pure » qui s’émancipe du monde peut donc produire théorie « pure » (théologie, philosophie, morale, métaphysique, etc.) : voici l’autonomisation de la conscience et l’apparition de l’idéologie qui peut faire abstraction des conditions matérielles qui sont à la base.
Nous pouvons mieux comprendre le lien entre la différence intellectuelle, le schème de domination et la fonction que l’idéologie va remplir à partir de la conception marxiste de l’État et du 6e fragment de L’Idéologie allemande, où Marx explique le lien entre la domination matérielle et la domination intellectuelle.
Avec la division du travail et la propriété privée surgit, selon Marx, la contradiction entre l’intérêt particulier et l’intérêt collectif de tous les individus qui sont en relation entre eux. L’État surgit sur la base concrète des intérêts d’un conglomérat des individus ou familles – l’une des intérêts principaux est l’intérêt de classe dont l’une domine toutes les autres. En fait, l’État est « la forme par laquelle les individus d’une classe dominante font valoir leurs intérêts communs et dans laquelle se résume toute la société civile d’une époque » (p. 155), c’est-à-dire, il surgit comme la « figure de communauté illusoire » (p. 93, note 2) où s’universalisent les intérêts particulières de la classe dominante qu’elle veut imposer aux autres. « L’État est un fabricant d’abstractions en raison même de la fiction unitaire qu’il s’agit pour lui d’imposer à la société. L’universalisation de la particularité est la contrepartie de la constitution de l’État, communauté fictive dont le pouvoir d’abstraction compense le défaut réel de communauté dans les relations entre les individus » (Balibar 2014 : 93). Ainsi, la domination chez Marx n’est pas seulement matériel ; elle implique aussi une domination spirituelle : « toute classe qui aspire à la domination […] doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt comme étant l’intérêt universel » (p. 93, note 2). Pour comprendre comment peut se produire cette domination spirituelle, il nous manque comprendre dans quel contexte surgit l’idéologie et la fonction qu’elle remplit. Le 6e fragment clarifie la question : là, Marx explique le fonctionnement de la division du travail à l’intérieur de la classe dominante. Dans ce fragment Marx pose premièrement l’idée que la classe qui a les moyens de la production matérielle, c’est-à-dire, qui est la classe puissante à niveau de la production, a aussi les moyens de la production intellectuelle. C’est ainsi que
Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l'un dans l'autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante. Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l'expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d'idées, donc l'expression des rapports qui font d'une classe la classe dominante; autrement dit, ce sont les idées de sa domination. Les individus qui constituent la classe dominante possèdent, entre autres choses, également une conscience, et en conséquence ils pensent; pour autant qu'ils dominent en tant que classe et déterminent une époque historique dans toute son ampleur, il va de soi que ces individus dominent dans tous les sens et qu'ils ont une position dominante, entre autres, comme êtres pensants aussi, comme producteurs d'idées, qu'ils règlent la production et la distribution des pensées de leur époque; leurs idées sont donc les idées dominantes de leur époque. (Marx et Engels 1982 : 111-112, nos italiques.)
Cette production et distribution des pensées se produit à l’intérieur de la classe dominante à partir de la division entre le travail intellectuel et le travail matériel. Suivant la théorie du « Stand universel »[6] de Hegel, à laquelle il renverse en attribuant aux intellectuels une fonction d’assujettissement et de division (Balibar 2014 : 99), Marx explique qu’il y a une catégorie d’individus dans la classe dominante qui sont des « idéologues actifs » (Marx et Engels 1982 : 112) et qui élaborent « l’illusion que cette classe se fait sur elle-même » (p. 112). Les idéologues de la classe dominante sont ceux qui élaborent les abstractions universalistes qui donnent lieu à l’État, en représentant l’intérêt qui est à la base de la classe qui a la puissance matérielle et intellectuelle comme l’intérêt commun de tous les individus de la société. Ils génèrent cette illusion en faisant abstraction des idées dominantes : elles sont séparées des individus qui exercent la domination, les éléments matérialistes qui sont à la base de ces idées sont éliminés  et elles sont présentées finalement comme l’élément qui domine l’histoire. Ainsi s’élabore l’idéologie en tant que « vision du monde » de la classe dominante qui est d’abord le rêve d’une universalité impossible et qui sert à légitimer l’état inégale des choses existant à cause de la division du travail et la division en classes de la société en le justifiant à partir de raisons naturelles ou religieuses.[7][8]
Tout cela dit, il reste voir comment Marx et Engels pensent la possibilité de changement ou bouleversement. La deuxième partie du texte que nous sommes en train de commenter est éloquente à propos de ce sujet, comme nous verrons ensuite.

III. Les contradictions de la division du travail et la nécessité de la révolution dans L’Idéologie allemande

La division du travail pour Marx est donc la division des activités qui donne lieu à la naissance des classes – en particulier, d’une classe qui est dominante par rapport aux autres – et qui fait que chaque individu ait « une sphère d’activité exclusive et déterminée qui lui est imposée et dont il ne peut sortir » (Marx et Engels 1982 : 94) : Marx a recours ici à l’idée d’aliénation en tant que puissance étrangère qui échappe au contrôle des hommes et qui les domine. Lorsque la division du travail et les forces productives se développent, il y a aussi des contradictions propres au mode de production qui surgissent : d’un côté, en raison de la division du travail et la division de la société en classes, « l’activité intellectuelle et matérielle, – la jouissance et le travail, la production et la consommation échoient en partage à des individus différents » (p. 91) ; en plus, il naît « une classe qui support toutes les charges de la société, sans jouir de ses avantages, qui est expulsée de la société et […] que forme la majorité des membres de la société » (p. 100). Ainsi, à cause de ces faits peut se produire une contradiction entre les rapports sociaux de production – c’est-à-dire, l’organisation sociale autour des moyens de production – et la force productive[9] : c’est le cas que Marx identifie dans le surgissement du prolétariat, masse de travailleurs qu’est dépossédé, qu’est à côté des idéologies et que supporte toutes les charges de la société (p. 100). La contradiction entre la théorie « pure » qui résulte de l’autonomisation de la conscience et les rapports existants est subsidiaire de ce conflit entre les rapports de production et la force productive (p. 91), et c’est pour ce raison que chez Marx « peu importe […] ce que la conscience entreprend isolément » (p. 91): le raisonnement critique ne peut pas arriver à résoudre les contradictions qui existent à niveau matériel précisément parce que les produits de la conscience ne sont que l’« expression idéaliste de limites économiques existantes » (p. 101, note 1). Si l’opposition entre les idées dominantes et les rapports sociaux arrive à menacer l’existence de la classe dominante dans le contexte d’un conflit pratique, cette opposition tombe « tandis que l'on voit s'envoler l'illusion que les idées dominantes ne seraient pas les idées de la classe dominante et qu'elles auraient un pouvoir distinct du pouvoir de cette classe » (p. 112) pour sauvegarder les rapports existants. L’unique forme de libération qui peut se produire chez Marx ne vient pas de faire une critique des idées, elle se produit à cause des conditions historiques concrètes – elle « est un fait historique et non un fait intellectuel » (p. 80) – à partir d’une révolution de l’état des choses existent. Ainsi, la contradiction entre les rapports sociaux de production et la force productive produit nécessairement un conflit entre la force productive, l’état social et la conscience, et l’unique possibilité de résoudre ce conflit réside dans un changement des conditions matérielles de production : il est nécessaire abolir à nouveau la division du travail et la propriété privée à partir d’une révolution qui fait un « renversement pratique des rapports sociaux concrètes d’où sont nées ces sornettes idéalistes [c’est-à-dire, l’idéologie en tant qu’illusion d’un monde irréel ou fantastique qui est doué d’une apparente autonomie et qui substitue à l’histoire réelle (Balibar 2014 : 86] » (Marx et Engels 1982 : 103). Chez Marx, cette révolution est immanente au développement de l’histoire du développement des modes de production (cette idée est subsidiaire et critique en même temps de la conception hégélienne de l’histoire). Elle va résoudre les contradictions générées par la division du travail en l’abolissant et ainsi elle va renverser la classe dominante et le système de domination et va permettre en conséquence à la classe qui renverse l’autre de fonder la société sur des bases matérielles nouvelles (p. 101).
Dans L’Idéologie allemande, la classe révolutionnaire est le prolétariat, masse des travailleurs dépossédés[10] qui ne sont plus considérés comme classe, qui sont à côté des idéologies – ils n’ont pas de patrie, de religion –, pour qui les conditions d’existence sont devenues contingentes et incontrôlables et qui pour mettre fin à leur conditions d’existence aliénés et s’affirmer en tant que personnes doivent  abolir leur condition d’existence, l’État, le travail et tout le monde de richesse et de culture existant réellement (p. 141). Cette conception du prolétariat comme masse extérieure au monde de l’idéologie que doit nécessairement produire la révolution était problématique. Selon Balibar (2014), « les évènements de 1848-1850 devaient cruellement souligner l’écart au réel de cette représentation. […] Le fait est que l’expérience immédiat, en France comme en Allemagne ou en Angleterre, allait révéler la puissance du nationalisme, des mythes historiques (républicains ou impériaux), voire des formes religieuses sur le prolétariat, en même temps que la puissance des appareils politiques et militaires de l’ordre établi » (p. 102). Le philosophe explique adéquatement la question qu’est à laquelle cette circonstance va donner
lieu : après les évènements de 1848-1850, Marx n’arrive pas à concilier « la thèse théorique d’une extériorité radicale entre les conditions de production de l’idéologie et la condition prolétarienne, avec le constat de leur compénétration quotidienne » (Balibar 2014 : 102). Comme résultat de cette question, à la fin Marx va opter pour abandonner la notion d’idéologie, en la substituant dans Le Capital par celle de
« fétichisme ».

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Tout au long de ce travail nous avons tenté de clarifier le schéma à l’intérieur duquel se trouvent les considérations marxistes sur la conscience et l’idéologie dans L’Idéologie allemande. Pour cela faire, nous avons premièrement clarifié la polémique qui sert de contexte à la rédaction du livre de Marx et Engels. Nous avons identifié trois enjeux dans l’ouvrage : la proposition de faire une histoire des hommes à partir de ses conditions matérielles d’existence, l’élaboration d’une théorie de la conscience et de l’idéologie, et la proposition de penser la libération depuis une perspective matérialiste. Pour comprendre le premier enjeu nous avons décrit la première partie de L’Idéologie allemande et les concepts de relation de production, propriété privée et division du travail. Ensuite, afin d’expliciter comment surgit les illusions de  l’idéologie et le rôle qu’ils accomplissent, nous avons fait un commentaire du 5e fragment de L’Idéologie allemande. Nous avons vu l’importance qu’a la différence intellectuelle pour le processus d’autonomisation de la conscience et le surgissement de l’idéologie et l’État dans le cadre de la domination matérielle et intellectuelle d’une classe concrète qui cherche à maintenir son puissance à partir de ces éléments. Nous avons vu aussi que les contradictions entre les produits de la conscience et les rapports de production sont solidaires de conflits matériels et que le raisonnement critique ne suffit pas à produire un changement si cela n’accompagne pas un bouleversement des conditions réelles d’existence. Finalement, nous avons étudié brièvement la théorie de la révolution dans L’Idéologie allemande. Il y a deux choses importantes à signaler à propos de cette théorie : 1) la révolution pour Marx est immanente au développement des modes de production, ce sont la division du travail et l’existence de la propriété privée les éléments qui génèrent les contradictions entre les rapports sociaux de production et la force productive et tout le système d’exploitation qui est à la base de la lutte de classes. Il est nécessaire, donc, que la division du travail soit abolie. 2) L’abolition de la division du travail doit se produire à partir d’une classe social qui est en fait exclu du système de classes, qui est une non-classe et qui dans le type d’organisation favorisée par la division du travail matériel et intellectuel est condamné à produire et à soutenir le système de production en même temps qu’elle se trouve complètement dépossédée. Ceux qui constituent cette « non-classe » dans L’Idéologie allemande sont les prolétaires, masse d’individus dénuée d’illusions sur la réalité. La contradiction entre la conception du prolétariat comme classe extérieure à l’idéologie et les évènements de 1848-1850 qui prouvent qui cette thèse est inadéquate font à l’abandon de la notion d’idéologie par Marx après 1852.
Ainsi, à partir de ce travail nous avons tenté de clarifier quelques notions que sont conflictuelles chez la théorie marxiste, surtout celles qui sont liées à l‘idéologie.

Bibliographie
Balibar, É. (2010). La proposition de l’égaliberté. Paris : PUF.
Balibar, É. (2014). La philosophie de Marx. Paris : La Découverte.
Lefebvre, J.-P. et Macherey, P. (1984). Hegel et la société. Paris : PUF.
Marx, K. et Engels, F. (1982). L’idéologie allemande. Traduction de Gilbert Badia. Paris : Éditions sociales.


[1] Nous pouvons lire la même critique de l’oublie de l’importance du milieu matériel dans la formation des idées dans la troisième thèse sur Feuerbach : « La doctrine matérialiste qui veut que les hommes soient des produits des circonstances et de l’éducation, que par conséquent des hommes transformés soient des produits de circonstances autres et d’une éducation modifiée, oublie que ce sont précisément les hommes qui transforment les circonstances. » (Marx et Engels 1982 : 51. Note 1, nos italiques).
[2] La difficulté du texte de Marx surgit en partie parce qu’il a été élaboré en dialogue avec des idées de l’époque. On trouve une analyse des intertextes de L’Idéologie allemande dans les chapitres 2 et 3 du livre de Balibar, La philosophe de Marx (2014).
[3] Cela produit l’« accroissement de la population ».
[4] Tous ces aspects sont interdépendants chez Marx: « il ne faut pas comprendre ces trois aspects de l’activité sociale comme trois stades différents, mais précisément comme trois aspects […] qui ont coexisté depuis le début de l’histoire » (p. 87-88). C’est pour cela peut-être que Marx dit qu’ils sont tous « le premier fait historique». Il faut signaler aussi que Marx n’explicite pas le quatrième moment, nous l’avons déduit à partir du texte.
[5] Balibar (2014) offre une explication plus spécifique de la différence intellectuelle : « il s’agit à la fois de l’opposition entre plusieurs types de travaux – Marx cite le commerce, la comptabilité, la direction  et l’exécution – et de l’opposition entre travail et non-travail, activités “libres” ou gratuites en général, devenues le privilège et la spécialité de certains » (p. 94). L’exemple qui donne Marx des individus liés à l’activité intellectuelle dans le texte à commenter est lié à la sphère religieuse : la première forme des idéologues pour l’auteur est celle des prêtres (p. 90, note 3).
[6] Le Stat universel chez Hegel est constitué par les fonctionnaires de l’État qui se tiennent entre les pouvoir souverain et l’ensemble d’institution de la société civile et dont la fonction est celle de « subsumer le particulier sous l’universel » (Lefebvre et Macherey 1984 : 80). Ce sont des intellectuels qui ont la compétence – c’est-à-dire, une forme de connaissance – d’assumer « la liaison entre l’intérêt commun, l’idéalité de l’État organique, et la hiérarchie complexes de toutes les sphères intermédiaires auxquelles appartiennent les existences individuelles » (p. 80); ils sont « chargés de donner un contenu à la volonté pure du souverain, c’est-à-dire d’en élaborer concrètement les décisions » (p. 81). Ils font, donc, une activité de médiation: ils sont les conseilleurs du monarque et ceux qui savent ce que veut le peuple mieux qu’il ne le sait lui-même : « Le peuple, si l’on désigne par ce mot une partie particulière des membres d’un État, exprime précisément la partie qui ne sait pas ce qu’elle veut » car « savoir ce que l’on veut […] est le fruit d’une intelligence et d’une connaissance profondes, qui ne sont précisément pas l’affaire du peuple » (Hegel, par. 301 des Principes de la philosophie du droit, chez Lefebvre et Macherey 1984 : 76-77).
[7] L’idéologie vient à être ce que Marx appelle la conscience théorique –qui constitue des religions et des philosophies –. Il faut signaler aussi que dans ce processus d’autonomisation de la conscience se constituent aussi des États – il s’agit dans ce cas-là de la conscience pratique –. Voir Marx et Engels 1982 : 92, note 1.
[8] On trouve la même idée dans le Manifeste du Parti communiste, écrit par Marx et Engels entre 1847 et 1848.
[9] La notion de contradiction entre les rapports de production et la force productive est plus développée dans le Manifeste du Parti communiste.
[10]  Cette dépossession et aliénation du prolétariat est directement liée à la notion de différence intellectuelle : le prolétariat est une masse dépossédée des choses parce que le prolétaire est avant tout dépossédé de soi-même dans le système capitaliste : « l’exploitation du travail salarié a de plus en plus pour résultat l’impersonnalisation du travailleur en tant que masse désintellectualisée » (Balibar 2010 : 87) et cette situation se produit à cause de la           « scission de l’intellectualité et de la manualité comme le point même où fusionnent exploitation et domination (ou “aliénation”) » (idem.) 

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