Le baptême comme pratique de manifestation de
la vérité individuelle
Fiche de
lecture sur les leçons 6, 13 et 20 de Du
gouvernement des vivants
Dans L’origine de l’herméneutique de soi,
Foucault analyse deux pratiques de manifestation de la vérité individuelle au
sein du christianisme des premiers siècles : la pratique de la pénitence
ou exomologesis et la direction de
conscience ou exagoreusis. Cependant,
dans le cours Du gouvernement des vivants
(leçons du 6, 13 et 20 février 1980), il analyse aussi le baptême comme
procédure de manifestation du vrai de soi-même.
L’objectif
de Foucault dans ces leçons est celle de faire une généalogie des actes d’aveu
dans le christianisme au tournant du IIe et du IIIe siècle en tant que régime de vérité qui
a imposé aux individus de manifester en vérité ce qu’ils sont sous la forme
d’une « manifestation en profondeur des mouvements les plus imperceptibles des
“arcanes du cœur” » (c’est-à-dire, les
logismoi ou cogitationes [Foucault
2013 : 79]). Dans les cours de 6 à 20 février 1980, il analyse l’articulation
entre la manifestation du vrai individuel et la rémission des fautes à partir
de la pratique du baptême. En particulier, Foucault étudie ici la réélaboration
qui était fait des rapports entre subjectivité et vérité au tournant de IIe
et du IIIe siècle, à partir des textes de Tertullien et de
l’institution de catéchuménat. À partir des déplacements d’accent dans la
théologie baptismale qui ont lieu dans cette époque nous trouvons des points
d’approximation entre la pratique du baptême et l’exagoreusis et l’exomologesis :
les trois pratiques donnent lieu à une discontinuité par rapport aux procédures
de l’Antiquité, dans les trois pratiques on trouve le principe « dis-moi ce que
tu es » et les techniques cherchent à déchiffrer une vérité cachée dans les
profondeurs de l’individu, et finalement, dans les trois pratiques il y a un
lien entre production de vérité au sujet de soi-même et sacrifice de soi (cette
sacrifice, cependant, reçoit des noms différents chez Foucault : dans L’origine de l’herméneutique de soi il
parle de « renonciation à soi », mais dans Du gouvernement de vivants il emploie le mot « mortification » –
c’est-à-dire, de la mort comme exercice de soi sur soi).
Pour
analyser le baptême et les rapports entre subjectivité et vérité auxquels cette
pratique donne lieu, Foucault commence par établir comment la pratique était pratiquée
dans le christianisme primitif (du Ie et IIe siècles). En
analysant la Didachè et la
littérature des apologistes, Foucault établit que dans cette période la
préparation au baptême impliquait principalement un enseignement
qu’éventuellement donnait lieu à l’illumination et à la purification dans le
rituel du baptême. Après faire cette analyse, Foucault signale la mutation qui
se produit à partir de Tertullien et de l’institution du catéchuménat. Les
principaux changements qui Tertullien introduit sont les suivants :
- Notion de péché originel (conception
de l’hérédité de la faute) : depuis la faute originaire, la tâche s’était propagée
à travers la semence. Les hommes ont tous une âme corrompue ou pervertie.
- Idée de l’introduction de
l’autre (Satan) en nous : cette faute originelle se manifeste, non pas tellement
par le fait que l’âme est impure, tachée, souillé, mais par le fait que l’âme
est tombée sous la puissance du démon. Selon Tertullien, après la chute a fait
son église dans l’âme des hommes.
- Idée du temps de préparation
au baptême comme temps de purification : Avant Tertullien, la préparation
au baptême était conçue principalement comme un temps d’enseignement et le
baptême était le moment de purification. Tertullien effectue un
déplacement : la préparation au baptême chez lui est le moment de
purification (la purification précède au baptême) qui sert à expulser Satan de
l’âme de postulant.
- Définition du baptême comme
temps de danger et lutte contre l’adversaire : Tertullien postule l’idée
de qu’au fond, plus on est chrétien, plus on est exposé et plus le diable fait
rage. C’est pour cela que la crainte devient la modalité essentielle du rapport
du sujet à lui-même. Ainsi, il se détache de l’idée de pureté, perfection et
sagesse qu’on trouve dans les païennes et dans les gnostiques.
- Conception de la « discipline
de la pénitence » comme étendue à la vie tout entière : Car le temps du
baptême et la vie du chrétien est un temps de danger, le temps de préparation
au baptême doit être une disciplina
paenitentiae, une discipline de la
pénitence, et la vie du chrétien tout entière doit être aussi une pénitence. La
paenitentia (traduction latine de metanoia) chez Tertullien implique un exercice
de soi sur soi (temps de l’ascèse) qui est dissocié de l’illumination des
vérités éternelles (temps de l’illumination) : il y a donc chez Tertullien
une diffraction de la metanoia (que
dans l’Antiquité était un mouvement unique d’ascèse et d’illumination).
- Idée de la pénitence comme
manifestation de la vérité du pécheur au regard de Dieu : pour Tertullien,
la pénitence est comme une « pièce de monnaie » : la pénitence
est ce qui doit manifester au regard de Dieu la vérité du pécheur lui-même et
ce qui permet la probatio de
l’authenticité de l’âme de l’homme.
- La substitution du modèle
d’enseignement (dans lequel l’âme apparaît comme la cible et l’objet d’une
procédure qui a pour fin de constituer l’âme comme sujet de connaissance) par
le modèle de l’épreuve (mouvement par lequel l’âme doit se constituer comme
protagoniste d’une procédure au terme de laquelle elle devient objet de
connaissance) comme forme de comprendre la relation entre purification et accès
à la vérité.
En définitive, on peut dire
qu’avec les idées de la corruption ab
origine de l’âme et de l’introduction de l’autre en nous, et sa conséquence
pratique, la conception de la vie comme pénitence sous la forme de la crainte,
les textes de Tertullien se présentent comme l’un des origines théoriques de
l’herméneutique de soi. Dans le catéchuménat on trouve l’institutionnalisation et
la mise en œuvre de ces idées, et dans le cadre de cette institutionnalisation
sont fondamentales les suivantes procédures de vérité qui concernent le «
dis-moi ce que tu es »: la procédure de questionnaire-enquête, où le postulant
au baptême verbalise les raisons de son désir de devenir chrétien et ses
parrains rendent témoignage à son sujet ; la procédure d’exorcisme, qui
cherche à être une épreuve d’authenticité de l’âme du chrétien aussi bien
qu’une opération de purification ; la profession ou acte de foi
(verbalisation de la foi) et l’épreuve de vérité ou reconnaissance rituelle des
péchés. On peut trouver que cette dernière procédure, depuis Foucault, a
quelques points en commun avec l’exomologesis
en tant le but est celui de montrer l’homme en tant que pécheur, dans son
statut ou caractère de pécheur.
Pour conclure, il faut dire que
Foucault finit la conférence du 20 février en signalant les déplacements qu’on
trouve dans le catéchuménat : la conception du baptême comme entreprise de
mortification, l’idée de l’autre au fond
de soi-même comme principe de la faute, et la conception du baptême comme
modèle permanent pour la vie. En particulier, cette idée du baptême comme
modèle permanent de la vie peut être expliqué à partir du changement dans
l’idée de metanoia étudié par
Foucault dans Du gouvernement des vivants
et dans « Christianisme et aveu » : la conversion ou bien la metanoia devient chez le christianisme
un processus permanent : la perfection est quelque chose d’ inatteignable
et l’adversaire ne cesse jamais d’être à l’affût – il est à l’intérieur de
nous, ou autour nous pour susciter des tentations, mais il peut être aussi à l’origine
des mouvements les plus imperceptibles de l’âme, comme Foucault explique dans «
Christianisme et aveu ». La conséquence la plus notoire de ce qu’on a vu est le
surgissement d’un type de rapport de soi à soi basé sur la crainte et sur la
nécessité de faire constamment (parce que le danger qui provient de la présence
du diable est constant) une analyse interprétative de soi : il s’agit
donc, selon Foucault, de la naissance de l’herméneutique du sujet, qui dans le
cas du christianisme implique la nécessité d’un sacrifice ou mortification de
soi.
Note 11, p. 96 Dans le cours Du gouvernement des vivants, Foucault
analyse trois grandes pratiques de manifestation de la vérité individuelle au
sein du christianisme des premiers siècles : le baptême, la pénitence
ecclésiale ou canonique et la direction de conscience. En particulier, au
baptême (traité surtout à partir des textes de Tertullien) sont dédiées la
deuxième moitié de la leçon du 6 février et les leçons du 13 et 20 février
1980. Cf. GV, p. 101-158. Par la
suite, cependant, dans les conférences, les séminaires et les articles où il
aborde ce même sujet, Foucault choisit toujours de se concentrer plutôt sur la
pénitence et la direction de conscience, c’est-à-dire sur l’exomologesis et l’exagoreusis, en laissant le baptême de côté.
Du gouvernement des vivants [Résumé]
Leçon du 6 février 1980
Objectif:
Étudier le christianisme sous l’angle des régimes de vérité. Définition de
régime de vérité : ce qui détermine les obligations des individus quant aux
procédures de manifestation du vrai. (p.
91)
« c’est donc ce qui contraint les individus à
ces actes de vérité, ce qui définit, détermine la forme la forme de ces actes
et qui établit pour ces actes des conditions d’effectuation et des effets
spécifiques. » (p. 91)
« régimes de vérité, c’est-à-dire les types de
relations qui lient les manifestations de vérité avec leur procédures et les
sujets qui en sont les opérateurs, les témoins ou éventuellement les objets. » (p. 98)
« Vous avez
d’autres régimes de vérité qui sont fort éloignés du régime scientifique
d’auto-indexation du vrai, et c’est précisément ce côté-là des régimes de
vérité, cohérents et complexes, mais extrêmement éloignés du régime
scientifique, que je voudrais un petit peu étudier cette année en prenant pour
exemple cet ensemble cohérent et complexe de pratique que sont l’examen de
soi-même, l’exploration des secrets de la conscience, l’aveu de ces secrets, la
rémission des fautes. » (p. 97)
La problématique : «
comment les hommes, en Occident, se sont-ils liés ou ont-ils été amenés à se
lier à des manifestations bien particulières de vérité, manifestations de
vérité dans lesquelles, précisément, ce sont eux-mêmes qui doivent être
manifestés en vérité ? Comment l’homme occidental s’est-il lié à l’obligation
de manifester en vérité ce qu’il est lui-même ?
Comment s’est-il lié, en quelque sorte, à deux niveaux et de deux
façons, d’une part à l’obligation de vérité, et deuxièmement au statut d’objet
à l’intérieur de cette manifestation de vérité ? Comment se sont-ils liés à
l’obligation de se lier eux-mêmes comme objet de savoir ? C‘est cette sorte de double bind, en modifiant bien sûr le
sens du terme, qu’au fond je n’ai pas cessé de vouloir analyser, [en montrant]
comment ce régime de vérité, par lequel les hommes se trouvent liés à se
manifester eux-mêmes comme objet de vérité, est lié à des régimes politiques,
juridiques, etc. » (p. 99)
« Le christianisme a au moins défini
deux grands pôles de régimes de vérité […] ils n’étaient pas indépendants l’un
de l’autre » (p. 100):
1) régime de
vérité qui tourne autour des actes de foi
(actes de vérité qui constituent des acceptation-engagement à l’égard de
certains contenus qui doivent être considérés comme vrais. L’individu doit
aussi donner des gages, des preuves, des authentifications extérieures);
2) actes d’aveu: «régime de vérité dans
lequel le christianisme, depuis de l’origine, ou en tout cas depuis le IIe
siècle, a imposé aux individus de manifester en vérité ce qu’ils sont, et pas
simplement sous la forme d’une conscience de soi qui permettrait d’assurer,
selon la formule de la philosophie ancienne et païenne, le contrôle de soi-même
et de ses passions, mais sous [celle] d’une manifestation
en profondeur des mouvements les plus imperceptibles des “arcanes du cœur”
(c’est-à-dire, les logismoi ou
cogitationes. Cf. Foucault 2013 : 79), et pas simplement non plus sous la
forme d’un simple examen de soi à soi, mais sous [celle] d’un rapport complexe
à un autre, ou à d’autres, ou à la communauté ecclésiale, tout ceci en vue
d’éteindre une certaine dette du mal et d’obtenir ainsi le rachat des châtiments
qui ont été mérités par ce mal et promis à titre de punition. Autrement dit,
depuis l’origine, le christianisme a établi un certain rapport entre l’obligation de la manifestation individuelle de vérité
et la dette du mal. » (p. 100-101)
L’articulation entre la manifestation du vrai individuel et la rémission
des fautes s’est organisée autour de trois pratiques : le baptême, la pénitence
ecclésiale et la direction de conscience. (p.
101)
Le baptême (p. 101)
1) La Didachè
- 1e texte qui donne des indications (début IIe
siècle). La Didachè formule des
règles rituelles.
- il n’y a pas de lien direct entre la rémission des péchés ou la
purification et des actes de vérité.
- Avant le baptême, il faut enseigner au postulant : 1) la distinction
entre les deux voies (la voie de la vie et celle de la mort) et 2) les
préceptes qui caractérisent la voie de la vie. (p. 101)
- Rôle du postulant : il est le disciple, l’enseigné, et on lui enseigne
une vérité. Quand il aura appris cette vérité il pourra être baptisé.
- Le baptême a fonction de purification. Cette purification est assuré par
: 1) l’enseignement (obligations de vérité) ; 2) le jeûne (rituel de
purification); 3) l’eau (rituel de purification; suivant sa symbolique
traditionnelle, elle est censée de laver les souillures et les péchés dont le
[postulant] a pu se rendre coupable dans sa vie antérieure. Il n’y a pas
d’articulation entre l’obligation de vérité et les rituels (p. 102)
2) Littérature des apologistes.
Apologie de Justin (p. 102)
- Milieu di IIe siècle. S’élabore d’une façon plus précise les
relations entre l’acte de vérité et la purification.
- L’enseignement doit être, chez le sujet, sanctionné par un acte
spécifique qui n’est pas celui de l’apprentissage, qui est l’acte de foi. Il
faut non seulement qu’il ait appris des choses, mais qu’il croie qu’elles sont
vraies.
- 3 significations et effets du baptême: (p. 102-104)
1) Thème du sceau : de la renaissance et de
l’illumination. Le baptême est quelque chose qui marque et qui scelle l’appartenance
du baptisé à Dieu.
2) Le
baptême assure une seconde naissance : il y aurait pour l’homme deux
générations possibles, l’une est nécessaire (il n’en est pas le maître, il
s’agit d’une génération qui lui arrive dans l’ignorance parce qu’il naît d’une
semence humide grâce au rapport sexuel de ses parents. La vie qui se découle de
cette naissance est une vie des inclinations et des mauvaises habitudes),
l’autre est possible: le baptême donne lieu à une seconde naissance dans
laquelle nous devenons “enfants du choix conscient et volontaire et du savoir”
[position qui était autrefois définie pour le sage stoïcienne). Cette seconde
naissance nous met sur la bonne voie d’une nouvelle vie qui ne sera pas impure
et qui se caractérise par le fait qu’il y a choix et savoir.
3) Le
baptême met le baptisé dans la lumière, est illumination: à la fois rapport de
connaissance immédiat et total avec Dieu, assimilation et ressemblance du sujet
avec Dieu, et reconnaissance de soi-même à travers de cette lumière qui nous
éclaire sur Dieu et qui nous vient de Dieu et qui, éclairant Dieu, nous éclaire
en même temps. « Le baptisé est celui qui est illuminé dans sa pensée, et sont
illuminés dans leur pensée ceux qui ont été purifiés par le baptême […] après
le long cycle d’éducation qui leur a appris quelle était la vérité et après
l’acte de foi par lequel ils ont affirmé que ces choses étaient vraies. » (p. 104)
Le baptême chez Justin est un cycle de vérité qui commence par
l’enseignement, qui se continue par l’acte de foi, qui se poursuit par le libre
choix et la connaissance, et qui se termine par l’illumination.
3) De baptismo et De paenitentia
de Tertullien
- Textes élaborés au tournant du IIe et du IIIe siècle où on trouve la grande mutation
de la conception de baptême et des rapports entre purification et vérité:
mutation autour de la conception du péché originel [Tertullien l’a inventé] (p. 104)
- Tertullien a substitué à l’idée des deux voies l’idée qu’aucun homme ne
naît sans crime: tout homme est par droit de naissance un pécheur (abandon du
modèle de deux voies). (p. 105)
- Il y a trois modèles de la morale
en Occident, trois seules possibilités selon lesquelles la morale a pu se
développer comme art de la conduite des individus : ou bien leur fixer la bonne
voie (la Didachè : modèle des deux
voies), ou bien leur dire comment remonter de la chute à l'état originaire (la
Bible : modèle de la chute), ou bien leur dire comment effacer la tâche et la
souillure (Tertullien : modèle de la souillure). Le christianisme a combiné les
trois modèles et le marxisme aussi (Marx, modèle de la chute : l’aliénation et
la désaliénation ; Mao, modèle des deux voies ; Staline : modèle de la tâche et
la souillure). (p. 105)
Leçon du 13 février 1980
But : esquisser
une histoire de la vérité qui prend pour
point de vue les rapports du sujet à lui-même entendus comme rapport de
connaissance de soi et comme exercice de soi sur soi: acte de vérité et ascèse.
(p. 111)
La relation entre purification
de l’âme et accès à la vérité dans la préparation et l’acte du baptême.
Changements introduits par Tertullien : (p.
112)
1) Rapport
de connaissance où l’âme va être, dans la préparation au baptême et le rituel
du baptême, sujet de savoir ou de connaissance (= Pères apostoliques et
apologistes), mais aussi objet de connaissance.
2) La
relation entre purification et accès à la vérité ne prend pas d’une façon
dominante la forme de l’enseignement, mais prend la forme de l’épreuve.
Nouveauté de la doctrine de
Tertullien. Le problème de la préparation au baptême.
- Les Pères apostoliques et les apologistes définissent le temps de
préparation comme un temps d’enseignement à le
postulant est un sujet de connaissance (enseignement et profession de foi). «
La préparation au baptême est au fond un long chemin d’initiation dans lequel
le postulant est petit à petit qualifié comme sujet de connaissance, à des
niveaux de plus en plus élevés, jusqu’à ce qu’il soit, en quelque sorte, la
vérité lui-même. » Ex: Clément d’Alexandrie (p.
113)
- Chez Tertullien il y a un déplacement : « Nous ne sommes pas plongés dans
l’eau du baptême pour être purifiés, mais nous sommes plongés dans l’eau du
baptême parce que nous sommes purifiés ». (p.
113-114)
1)
Déplacement chronologique : la purification passe à des procédures qui
précèdent le baptême.
2)
Déplacement de Dieu à des hommes comme opérateur de la purification : c’est
nous-mêmes qui devons arriver devant Dieu et devant le baptême déjà purifiés.
3)
Déplacement de la vérité à la morale et intervention du rapport entre vérité et
purification : avant, c’était l’initiation à la vérité et la constitution
progressive du sujet de connaissance qui assuraient la purification ;
maintenant la purification doit être fait avant le moment où doit se produire
l’illumination dans le baptême.
Argumentation de Tertullien
contre les gnostiques et l’attitude de certains postulants au baptême.
- Les
mouvements d’inspiration gnostique refusaient l’efficace du baptême parce que :
1) pour les gnostiques l’âme n’a pas besoin d’être purifié en elle-même ; il
faut la libérer pour qu’elle retrouve la mémoire de sa parenté avec Dieu. 2) le
rite du baptême es scandaleux pour les gnostiques puisque « le baptême, en
utilisant quelque chose comme l’eau, c’est-à-dire une substance matérielle,
prétendait vouloir purifier quelque chose qui est de la pure spiritualité, qui
est de la même nature que Dieu, par quelque chose qui est la matière, la
matière qui est précisément le mal et l’impureté. » (p. 115) [1]
- Tertullien
rappel les valeurs spirituelles de l’eau, telles qu’on peut les trouver dans
l’Écriture : l’eau est la forme à travers laquelle Dieu a rapport avec le
monde, avec la matière et avec la créature. à Il
maintient le principe du rite du baptême et de son efficacité purificatrice (p. 116) [continuité]
- Ce que Tertullien interroge sont les attitudes qui manifestent les
postulants au baptême. (p. 117)
1)
Postulants qui se précipitent sur le baptême avant une préparation suffisante :
ils commettent un péché d’orgueil et de présomption en demandant à Dieu de leur
pardonner e dont ils ne se sont même pas eux-mêmes repentis ou corrigés.
2)
Postulants qui retardent le baptême pour pouvoir pécher parce qu’après être
baptisés ils ne pourront pas pécher sans être définitivement condamnés.
Cette
attitude a été un point de débat à propos du baptême et à propos de la
pénitence. C’est le statut de pur, de l’élu, du parfait qui est en question, et
pour que le christianisme puisse faire accepter un baptême et une pénitence
précoces il a fallu qu’il abandonne l’idée de la perfection et de la pureté qui
était fondamentale dans les religions de salut de l’Antiquité : il faut que
celui qui a été purifié reste un peu impur car s’il est effectivement devenu un
parfait, il ne pourra plus faire ce qu’il a envie de faire.
- Tertullien identifie des erreurs derrière ces attitudes: (p. 118)
1) erreur et
offense concernant Dieu : on asservit Dieu à la volonté de l’homme en supposant
que Dieu est obligé de nous purifier par le rite du baptême.
2) erreur
concernant le péché
Doctrine du péché originel :
non seulement perversion de la nature, mais introduction de l’autre (Satan) en
nous.
- Tertullien a élaboré l’idée de péché originel à partir et contre deux
idées: 1) l’idée du péché comme souillure et 2) l’idée du péché comme chute. (p. 118-119)
1) Élaboration de l’idée de péché comme souillure: (p. 119)
- Pour Tertullien, le péché ne peut pas se dissiper par une illumination ou
purification parce que ce qui se manifeste comme tache marque l’âme de l’homme
dès sa naissance : c’est une perversion de la nature.
Cela s’inscrit dans la conception de l’hérédité de la faute. Tertullien
combine : 1) la théorie de la transmission de la faute originelle par la
semence [qui part de l’idée formulée par Démocrite que dans le sperme l’homme
se dédouble l’homme] avec 2) l’idée
qu’il y a deux semences [la semence du corps et la semence de l’âme, qui sont
mêlées de sorte qu’elles sont solidaires dans leur souillure].
- « Depuis la faute originaire qui a bien été au départ une tache, les
semences successives qui se sont ainsi propagées à travers le genre humain tout
entier ont [donc] donné à chaque être qui naît par le relais de cette semence
une nature profondément pervertie. Ce n’est pas simplement la tâche qui s’est
communiquée, c’est la nature même qui s’est trouvée corrompue, au point
que Tertullien dit que nous
avons, au fond, “une autre nature” ». (p. 119)
- Donc, la purification n’est simplement un effet de la lumière qui
substitue l’oublie à l’illumination de la connaissance. «Il faut une sorte de
reprise de fond en comble de notre nature » (p.
120)
- Problème de savoir si le mal est une autre substance et une nature
radicalement autre à Tertullien
emploie la métaphore de la croissance des êtres vivants: passage de l’un à
l’autre à l’intérieur d’une même nature. « La préparation au baptême doit être
semblable à cette transformation par laquelle les animaux, à force d’exercices,
à force d’échecs, d’erreurs, de blessures, vont arriver à l’âge adulte à faire
ce qu’ils veulent faire et à rejoindre leur vraie nature. C’est donc cette
évolution-là que la préparation au baptême doit reconstituer et reproduire.
Nous devons aller de l’enfance imparfaite, incapable de rien [de l’état de
pécheurs], à la maturité, pleine, accomplie et susceptible enfin de faire ce
qu’elle doit faire [l’état de chrétiens]. […] Nous avons à devenir adultes
devant Dieu.» (p. 120-121)
Opposé à
l’idée de Clément d’Alexandrie de que le chrétien, avant même qu’il ait été
baptisé et avant même qu’il soit devenu chrétien, doit se considérer comme
enfant de Dieu. à Esprit de
l’enfance et retour à l’esprit de l’enfance.
(p. 120)
2) Élaboration de l’idée de péché comme chute: (p. 121)
- Non seulement la nature a été pervertie et est devenue autre (à la fois,
elle est restée même et elle est devenue autre). Ce qui caractérise le péché,
c’est que l’autre
s’est introduit en nous : à partir de la chute, Satan a pris place dans
l’âme, il a fait de l’ensemble des âmes des hommes sa propre église.
Tertullien
se démarque par rapport à l’idée de la chute des religions de salut, des
gnostiques et des néoplatoniciens : la chute était le fait qu’une âme tombe à
l’intérieur d’une matière.
- Pour Tertullien le péché et la chute consistent dans le fait qu’à
l’intérieur de l’âme il y a quelque chose qui est un autre et l’élément du mal
: le diable.
- Rôle du baptême : chasser de l’intérieur de l’âme l’élément autre et
déposséder Satan de ce qui constitue son empire et son église. (p. 122)
Donc, Tertullien « recentre l’idée de la souillure autour
de cette transmission précise d’une faute par la semence et aussi autour de
l’idée que cette faute originelle se manifeste, non pas tellement par le fait
que l’âme est impure, tachée, souillé, mais par le fait que l’âme est tombée
sous la puissance du démon » (p. 154)
Le temps du baptême, temps de
lutte et de combat contre l’adversaire. (p. 122)
- Déplacement
de l’idée d’illumination progressive et de chemin ascendante (perspective d’une
initiation par l’enseignement qui dominait au IIe siècle) à l’idée
de qu’au fond, plus on est chrétien, plus on est exposé et plus le diable fait
rage.
- Définition de la préparation au baptême chez Tertullien : Le
temps du baptême est un temps de danger : il s’agit à la fois d’un temps de
transformation radicale de la nature, qui est à la fois la même et l’autre et
qu’il faut restituer à ce qu’elle est, et, d’autre part, d’un temps de lutte et
de combat contre l’adversaire.
- Contre les attitudes, Tertullien veut maintenir dans la conception qu’il
se fait de la préparation au baptême : 1) la libéralité de Dieu, liberalitas dans les deux sens de
générosité et liberté ; 2) la crainte de l’homme, metus. (p. 122-123)
La crainte, modalité
essentielle du rapport du sujet à lui-même; importance de ce thème dans
l’histoire du christianisme et de la subjectivité.
- Tertullien introduit l’idée de que le chrétien ne doit jamais abandonner
la crainte : il est toujours dans le danger et par conséquent il doit toujours
être inquiet. (p. 123) « La
préparation au baptême doit être le temps de metus et periculi, de la
crainte et du danger » (p. 124)
- Discontinuité
: L’idée que le baptême doit se préparer par la crainte et maintenir le
chrétien dans un état de crainte est le congé du thème du pur, du parfait, du
sage. Il y a une discontinuité par rapport à tout ce qu’il avait avant :
tous se référaient à l’idée d’un certain état de pureté et de sagesse à partir
duquel on est inaccessible au danger, à la tentation, à la faute et au péché. (p. 123)
- L’inquiétude (metus) va être
l’élément fondamental dans l’économie de salut du christianisme et du rapport
que le sujet doit avoir à lui-même.
- Avec cette inquiétude se détachent deux choses: (p. 123-124)
- l’accès à
la vérité : de ce côté-ci, la non-inquiétude est fondamentale: acte de foi.
- inquiétude
sur soi : la crainte ne doit jamais cesser en ce qui concerne le rapport que le
sujet doit avoir à lui-même. « Si l’on veut avoir la foi, il faut n’être jamais
sûr de ce qu’on est soi-même » (p. 124)
- Ce crainte sur soi-même, ancrée dans le christianisme à partir de ce
tournant du IIe et du IIIe siècle, aura une importance
décisive dans toute l’histoire de la subjectivité et le rapport de soi à soi.
Conséquence pratique de la
crainte: la «discipline de la pénitence »
- Car le baptême est le temps du danger, il faut travailler pour parvenir
au bienfait de Dieu: « c’est la discipline de la pénitence, paenitentiae disciplina, qui doit
constituer l’armature fondamentale de ce temps de préparation au baptême. » (p. 125)
Nouveau sens du mot pénitence
chez Tertullien.
1) Sens de la pénitence dans la « discipline de la
pénitence » Chez Tertullien, « la paenitentia est une espèce de dissociation à partir de l’unité de
mouvement de la metanoia. » (p.127) « Paenitentia traduit le mot grec metanoia
et, par conséquent, ne désigne pas la pénitence rituelle, canonique,
ecclésiale, telle qu’on l’entendra à partir d’un certain moment. Quand on
rencontre le mot paenitentia dans les
textes de cette époque, il faut penser qu’il s’agit de la conversion et non pas
de la pénitence » (p. 150)
- : paenitentia est la traduction
latine du terme metanoia. (p. 125)
Définition
de metanoia : La metanoia c’est le changement de l’âme, c’est le mouvement unitaire par lequel l’âme pivote sur
elle-même et se détourne de ce qu’elle regardait jusque-là –les ombres, la
matière, les apparences – et se tourne au contraire vers la lumière, vers le
vrai. Le vrai qui illumine l’âme est à la fois la récompense et le moteur de ce
mouvement tournant de l’âme sur elle-même. C’est parce que l’âme est attirée
par le vrai qu’elle peut se diriger vers la lumière qui va lui permettre en
même temps de connaitre ce qui était caché et de se connaître elle-même.
Ce mouvement
de lumière est ce qui va la purifier, dans la mesure où l’impureté, c’est
l’ombre, la souillure et la tâche. (p.
125) La metanoia était le
mouvement unitaire par lequel « l’âme, se tournant vers la vérité, découvrait
elle-même sa propre vérité. » (p. 130)
- La pénitence prend chez Tertullien un sens différent : Le baptême de Jean
prouve que notre baptême doit se dérouler en deux temps : un temps préalable de
pénitence [temps de préparation] et le baptême proprement dit [temps
d’illumination]. (p. 127)
- Polémique
sur le baptême (ch. 10 du De baptismo)
: « Qu’est-ce que c’était le baptême de Jean ? Que voulait dire ce Baptiste
qui, avant même le Sauveur, avant que soit accompli la promesse du salut,
baptisait les gens ? Si le baptême de Jean faisait les chrétiens et sauvait, le
Christ est inutile. Mais si le baptême de Jean ne sauve pas [faux baptême],
pourquoi le Christ a-t-il reçu ce baptême ? (p.
126)
- Réponse de
Tertullien : il y a deux baptêmes : 1) baptême de la pénitence, humain, dans
lequel l’Esprit saint ne descend pas et il n’y avait ni illumination ni
rémission des péchés. Il n’y avait que la pénitence, le regret des hommes de
leurs péchés et la résolution de ne plus recommencer. 2) baptême de rémission
et de salut qui apparait lorsque le Sauveur est venu. à Le
Christ reçoit le baptême de Jean pour montrer que, avant de recevoir le
baptême, il faut faire pénitence. (p.
126)
- Diffraction de la ‘metanoia’
Avec cette définition des temps du baptême et de la pénitence chez
Tertullien, la metanoia se diffracte
: le mouvement se dissocie en deux moments
un moment qui est l’exercice de la pénitence et puis, ensuite,
l’illumination qui la récompense : l’exercice de soi sur soi [temps de
l’ascèse] doit être préliminaire à ce mouvement par lequel on deviendra sujet
de connaissance dans l’illumination qui nous ouvre aux vérités éternelles
[temps de l’illumination]. (p. 127)
2) Sens de la discipline dans la « discipline de la pénitence » : La pénitence étendue à la vie tout entière
(p. 128)
- Indications négatives : Il ne faut pas donner le baptême de façon hâtive
et à n’importe qui : ne donner pas le baptême aux gens qui ne sont pas mariés. (p. 127)
- Indications positives : Tertullien demande de accomplir quelques
pratiques avant le baptême (de jeune, de veille, d’agenouillement, de prière,
etc.). Fonctions : 1) fonction de purifier, de nettoyer et de permettre que les
fautes soient effacées (continuité)
; 2) fonction de donner à l’individu la capacité et la force de lutter contre
le mal (nouveauté).
« La préparation au
baptême est donc ascèse en ce sens strict : c’est une gymnastique […] du
corps et de l’âme pour cette lutte contre le mal, contre Satan, contre l’Autre
en nous-mêmes, contre la tentation […] dont on ne pourra jamais se débarrasser.
D’où cette idée que
si le temps de préparation au baptême doit bien être une disciplina paenitentiae, une
discipline de la pénitence, en retour, la vie du chrétien tout entière doit
être aussi une pénitence.» (p.
128)
- Deux significations importantes de l’interprétation que Tertullien donne
de la préparation au baptême:
1) Idée que
c’est la vie tout entière qui doit être une vie de pénitence. (p. 128)
2) Idée que
le Seigneur nous offre l’impunité en échange de la pénitence[2] à
Tertullien ne veut pas établir une équivalence entre la récompense et le temps
de pénitence. En donnant la pièce de monnaie de la pénitence préparatoire, le
postulant au baptême donne les éléments qui permettent l’épreuve de la
pénitence, la paenitentiae probatio :
« qui permettent de savoir si c’est de la bonne monnaie, si ce n’est pas
inauthentique, si ce n’est pas hypocrite, si c’est bien vrai, la pénitence. » (p. 129)
La pénitence comme
manifestation de la vérité du pécheur au regard de Dieu
- À travers cette métaphore, on voit apparaître l’idée que la pénitence est
ce qui doit manifester au regard de Dieu la vérité du pécheur lui-même : la
pénitence est « l’affleurement à la surface de la vérité profonde de l’âme, et
c’est en ce sens que l’on peut dire que la pénitence est une pièce de monnaie.
Elle est ce qui permet la probatio. »
(p. 130)
- Diffraction de la ‘metanoia’.
Dissociation du pôle de la foi et du pôle de l’aveu.
- Dédoublement de la metanoia chez
Tertullien : il y a deux niveaux : 1) la vérité que l’on doit apprendre à
connaître en se préparant au baptême [le mouvement de soi-même vers la vérité
qui est Dieu] ; 2) la vérité du mouvement lui-même, qui est la vérité de l’âme
elle-même en faisant mouvement vers le bien [vérite de soi sous le regard de
Dieu].
-Double fonction
de la pénitence : 1) préparer le cheminement qui va vers la vérité ; 2)
manifester la vérité de ce qui nous sommes. (p.
130)
- Décrochage chez Tertullien entre ce qu’on pourrait appeler la structure
de l’enseignement (dans laquelle l’âme apparaît comme la cible et l’objet d’une
procédure qui a pour fin de constituer l’âme comme sujet de connaissance) et la
structure de l’épreuve (mouvement par lequel l’âme doit se constituer comme
protagoniste d’une procédure au terme de laquelle elle devient objet de
connaissance) : chez Tertullien, la préparation au baptême se présente comme un
entrecroisement entre une structure d’acquisition de la vérité par l’âme et une
structure de manifestation de l’âme en sa vérité. (p. 130)
- Dissociation du pôle de la foi (orient) et du pôle de l’aveu (occident) :
l’idée d’une probatio fidei vient
scander l’idée d’une préparation au baptême qui est relativement autonome par
rapport à l’illumination : séparation de l’ascèse (l’aveu, l’occident) et l’illumination (la foi, l’orient).
Leçon du 20 février 1980
Rupture avec la conception
néoplatonicienne de la ‘metanoia’ : Distinctions chez Tertullien
1) distinction entre le travail humain que l’âme exerce sur elle-même pour
se purifier et l’opération divine de rémission des péchés. (p. 139)
2) distinction entre la catéchèse comme enseignement des vérités de la foi
et des règles de la vie chrétienne et la discipline pénitentielle entendue
comme travail par lequel l’âme apprend à se détacher du mal maintenant, mais
aussi à s’exercer pour pouvoir lutter dans l’avenir. Idée d’une discipline
pré-baptismale qui n’est pas la même chose que l’initiation catéchétique aux
vérités, qui s’exerce de soi pour soi pour l’avenir et pour toutes les luttes
futures. (p. 139-140)
3) Distinction entre l’accès de l’âme à la vérité salvatrice et la
nécessité pour cet accès lui-même d’un processus différent pourtant de ce
cheminement et qui vient à la fois le croiser et l’appuyer. Ce processus qui
est nécessaire à l’initiation à la vérité est la manifestation probatoire de la
vérité de l’âme par elle-même. [Cette différentiation ne veut pas dire
dissociation et séparation] (p. 140) à
articulation qui laisse à chaque processus sa spécificité.
- Diffraction de la metanoia :
Dans l’effort que le christianisme a fait pour se déprendre par rapport â la
gnose et à tous les mouvements dualistes, la metanoia se diffracte et commence
une histoire nouvelle des rapports entre subjectivité et vérité. (p. 142)
1) La
mémoire devient, non plus affaire d’expérience individuelle, mais de
traditionalité instituée (discontinuité)
[réorganisation du rapport à la vérité comme dogme à
pôle de la foi].
2) La vérité
devient l’objet des techniques par lesquelles l’âme sera requise de manifester
ce qu’elle est. [Réorganisation du rapport de soi à soi comme obligation pour
l’âme de dire ce qu’elle est à pôle de
l’aveu] (p. 142)
Développement de l’institution
du catéchuménat dans les églises chrétiennes depuis la fin du IIe siècle
- Les textes de Tertullien se présentent dans le cadre du développement de
l’institution du catéchuménat à partir des années 170-180. Le catéchuménat est
une institutionnalisation (il réorganise et régule d’une façon autoritaire) des
pratiques de préparation au baptême. (p.
143)
- Il y a plusieurs raisons de cette institutionnalisation :
1) La
diffusion du christianisme génère l’afflux des postulants et l’affaiblissement
de la rigueur morale.
2) Le
renforcement des persécutions à partir du IIe siècle fait
surgir des possibilités d’abandon du christianisme de la part des chrétiens non
suffisamment préparés.
3) Rivalités
avec des autres groupes religieux : a) existence d’un débat avec les
païens (nécessité de pouvoir présenter à la fois une doctrine bien formé et des
mœurs rigoureuses) ; b) lutte contre les hérésies (le catéchuménat sert à
donner aux chrétiens une formation rigoureuse pour qu’ils ne tombent pas dans
l’hérésie) ; c) nécessité de se démarquer des mouvements gnostiques[3]
(l’institutionnalisation des pratiques permet d’organiser un catéchuménat où
l’initiation à la vérité sera articulée sur une série de préparations morales
et d’exercices sur soi). (p. 144)
- Définition de catéchuménat :
- Temps de
préparation réglée et contrôlée à l’existence chrétienne et au baptême. (p. 144)
- Dans le catéchuménat la catéchèse et la pédagogie de la
vérité sont associées à la réparation morale et à des exercices avec des
procédures destinées à manifester et vérifier le processus de transformation de
l’âme que le baptême complétera par la remise des fautes. (p. 145)
Les procédures de vérité à
l’œuvre dans le parcours du catéchumène (réunion non publique, exorcisme,
profession de foi, confession des péchés)
Au cours de la préparation au baptême qui caractérise l’existence du
catéchuménat (p. 149), on trouve
quatre grandes séries d’épreuves de vérité qui concernent le « dis-moi ce que
tu es » (p. 145). Foucault analyse
ces épreuves à partir de deux textes de saint Hippolyte : La Tradition apostolique et Canons (tournant du IIe-IIIe
siècle) :
1) Procédure
de questionnaire-enquête : Il s’agit d’une réunion non publique entre
le postulant, les docteurs qui sont responsables de l’entrée dans l’ordre des
catéchumènes et les parrains ou témoins du postulant. Les docteurs examinent la
manière de vivre des postulants : ils leur demandent « la raison pour laquelle
ils cherchent la foi » et les témoins « rendent témoignage à leur sujet ».
Après de l’interrogatoire-examen, le postulant devient auditeur et doit mener
pendant 2 à 3 années une vie de purification qui obéit à un certain nombre
d’impératifs et d’injonctions. Après cela un nouveau examen-questionnaire sur
cette période a lieu pour choisi ceux qui peuvent être baptisés. (p. 146)
2) Procédure
d’exorcisme : Après le seconde examen-questionnaire, le postulant doit
se préparer pour le baptême en faisant de pratiques ascétiques. Au terme de ce
temps de préparation a lieu l’exorcisme : « l’évêque, à ce moment-là, prononce
des imprécations pour chasser Satan, et le fait que le catéchumène puisse
écouter ces imprécations sans broncher, sans bouger, sans s’agiter, prouve que
l’esprit du mal n’est plus maître de son âme et que, par conséquent, il peut
recevoir le baptême » (p. 147).
L’exorcisme a deux fonctions : 1) est un rite « de dépossession, mais au
sens quasi-juridique » (p. 148) qui a
pour but d’opérer une purification-expulsion de Satan (parce que l’âme de
l’homme est devenue propriété de Satan après la chute et le saint Esprit ne peut pas descendre dans
une âme si la dépossession n’est pas faite : il s’agit d’un rite de
passage de souveraineté) ; 2) est une épreuve d’authenticité qui purifie
en deux sens : elle rend l’âme à son propriétaire originaire (Dieu) et elle
montre que l’âme s’est effectivement dégagée des anciens attachements
(métaphore de l’épreuve de feu). (p. 148)
3) Profession
de foi : Au moment du baptême, le postulant doit répondre
affirmativement à trois questions (« Crois-tu au Père ?», « Crois-tu au
Fils ?», « Crois-tu au Saint Esprit ?») et à chaque fois il est
immergé dans l’eau. (p. 150)
4) Épreuve
de vérité : Reconnaissance des péchés. Pour Foucault, «c’est plutôt un
acte en forme d’oraison, une sorte de discours que l’on adresse à Dieu et dans
lequel le catéchumène reconnaît effectivement, non pas tellement les péchés
qu’il a commis, mais le fait qu’il est pécheur ou le fait qu’il a commis
beaucoup de péchés ». (p. 150)
Importance de ces pratiques du
catéchuménat pour l’histoire des régimes de vérité
- Le catéchuménat est la mise en œuvre des principes formulés par
Tertullien : « la vérité de l’âme est le prix que l’âme paie pour accéder
à la vérité » à
principe du « dis-moi qui tu es » (p.
151)
- Le principe du « dis-moi qui tu es » donne lieu à techniques de
manifestation de vérité qui sont différentes des procédures pédagogiques de
l’Antiquité. (p. 151)
- Il y a une nouvelle
accentuation de la théologie du baptême.
1) Première déplacement d’accent dans la
théologie baptismale : la préparation au baptême comme entreprise de
mortification : la mort comme forme du baptême. Si dans le
christianisme des Ie et IIe siècles le baptême est liée
au thème de la régénération (il constitue une seconde naissance), à partir du
IIIe siècle, le baptême se définit comme une mise à mort ou
ensevelissement (une répétition pour l’homme de ce qu’a été pour le Christ sa
passion). Par conséquent, la préparation au baptême, entendue comme exercice,
«doit être non pas tellement (seulement) une préparation à la vraie vie
éternelle, qu’une entreprise de mortification » (p. 153). « Le vieux thème que l’on trouvait dans la Didachè, fin du Ier- début du
IIe siècle, ce vieux thème des deux voies, la voie de la vie et la
voie de la mort, ce vieux thème se dédouble I ne s’agit pas simplement de
choisir, au lieu de la voie de la mort, la voie de la vie. Il faut mourir à la
voie de la mort pour pouvoir revivre »[4] (p. 153). Les épreuves de vérité sont,
donc, un moyen « d’authentifier la mortification en quoi doit [consister] le
cheminement vers la vérité » (p. 153)
2) Deuxième déplacement d’accent dans la
théologie baptismale : l’autre
au fond de soi-même comme principe de la faute. La théologie de la faute,
aux IIIe et IVe siècles, va être de plus en plus liée à
l’idée d’une action du démon élaborée par Tertullien. La faute est le triomphe
de Satan (en tant que l’autre qui est en nous) et la purification prend
l’aspect d’une lutte permanente contre lui (parce que plus on est chrétien,
plus on est dans une position dangereuse : il s’agit de la conception du metus de Tertullien). Par conséquent,
«le chemin vers la vérité doit passer par cette expulsion de l’autre, et doit
passer par toute une série d’épreuves de vérification pour savoir si l’autre
est bien toujours là » (p. 154)
3) Troisième déplacement d’accent dans la
théologie baptismale : le
baptême, modèle permanent pour la vie. Dans la théologie du baptême des
deux premiers siècles il y avait une tendance à considérer que, avec le
baptême, celui qui l’avait reçu entrait définitivement dans la voie de la vie
et de la vérité (dans une vie de perfection). Le christianisme a répondu à ce
problème des élus et des parfaits en distinguant deux choses : le rachat
des fautes passées qui est assuré par le baptême, et puis un salut qui ne sera
donné qu’
à la fin de
la vie du chrétien. Ainsi, « au lieu d’être ce qui introduit d’une façon
solennelle et définitive à la vraie vie, le baptême, avec tout ce qui comporte
de mortification et de lutte avec l’autre, d’expulsion de l’autre, doit devenir
une sorte de modèle permanent de la vie. […] Même baptisé, nous devons nous
mortifier jusqu’à la mort. […] Et, bien entendu, nous avons besoin pour cela
d’épreuves constantes de vérité. Nous avons besoin sans cesse d’authentifier ce
que nous sommes. Nous avons besoin de nous surveiller nous-mêmes […]» (p.
155)
« Nous mortifier et nous débattre avec
l’autre : l’introduction de ces deux éléments qui sont complètement
étrangers à la culture antique – mortification et rapport à l’autre en soi-même
[discontinuité]
–, je crois que c’est là que le problème de la subjectivité, le thème de la
subjectivité et [du lien] subjectivité-vérité bascule entièrement par rapport à
la culture antique » (p. 156)
Cette réélaboration des rapports subjectivité-vérité se produit atour du
problème de la conversion. Dans le christianisme la conversion est pensée
précisément à partir de la mort comme exercice de soi sur soi (c’est-à-dire, à
partir de la mortification) et à partir du problème de l’autre comme ce qui
s’est emparé de pouvoir en nous-mêmes. Par conséquent, elle exige la probation,
l’épreuve la mise en jeu de la vérité de soi-même. Ce rapport à soi, ce rapport
à la mort et ce rapport à l’autre on le trouve dans les textes de Tertullien et
dans les nouvelles pratiques du catéchuménat. (p. 157-158)
[1]
Pour plus d’information sur les gnostiques, voir « Christianisme et aveu », p.
67-68
[2] Il
s’agit de quelque chose similaire à la métaphore du chargeur d’argent chez
Cassien (« Christianisme et aveu », p. 79).
[3] Les
mouvements gnostiques avaient pour caractéristique de donner un privilège
fondamental à la gnose (connaissance) et pour privilégier l’initiation à la
vérité. (p. 144)
[4] La
logique qu’on trouve ici est similaire à celle de l’exomologesis. On peut dire que dans cette procédure aussi « la
révélation de la vérité au sujet de soi ne peut pas être dissociée de
l’obligation de renoncer à soi » (p. 87)